La gérance libre et autonome est un terme étrange pour désigner une méthode de cession qui prend de plus en plus d’ampleur.
Par Grégory Sorgeloose, co-gérant du cabinet Sorgeloose & Trice.
Commençons par mettre un visage sur ce concept probablement austère pour la plupart d’entre vous. Une gérance libre et autonome (également connue sous le terme de « location-gérance ») est un mécanisme de cession particulier, permettant à un gérant libre (l’acheteur.euse), non pas d’acheter un fonds de commerce à son bailleur ou sa bailleresse (le vendeur ou la vendeuse), mais de le lui louer à long terme, parfois couplé à une option d’achat. En échange de cette location, le ou la locataire paiera une redevance mensuelle au bailleur. Nous ne parlons pas ici d’une location pure d’un rez-de-chaussée commercial, mais bien d’une location d’un fonds de commerce totalement équipé et en activité. Cette méthode nous vient tout droit de l’Hexagone voisin où, généreusement utilisée par la communauté auvergnate et aveyronnaise, elle leur a permis d’acquérir les plus belles affaires de Paris, en créant de véritables empires. Elle pourrait être assimilée à un « renting ».
Une simple location. Mais encore ?
Le mécanisme, si nous le résumons à sa plus simple expression, est en fait une simple « location » d’un fonds de commerce. Mais pourquoi vouloir louer un Horeca plutôt que de l’acheter ? Les raisons peuvent être multiples : le ou la propriétaire d’un fonds de commerce en pleine croissance, n’a plus le temps de s’occuper de la gestion quotidienne, et souhaite passer le flambeau à un gérant indépendant tout en restant propriétaire de ce fonds. Ce dernier ou cette dernière prendra dès lors à sa charge l’exploitation quotidienne à ses risques et périls et libérera le bailleur ou la bailleresse de cette dernière. Plusieurs cas de figures existent : un candidat acquéreur talentueux et prometteur souhaite acquérir progressivement un établissement, n’ayant pas la totalité des fonds immédiatement et/ou n’ayant pas accès au financement bancaire. Ou, prenons le cas d’une cession familiale où un père cède la gérance libre de son établissement à son fils ou à sa fille afin qu’il ou elle se fasse la main durant quelques années et évalue si ce métier lui plait, sans devoir s’endetter à long terme. Les raisons d’utiliser ce mécanisme sont aussi nombreuses que variées, le système pouvant également démontrer toute son utilité en cas de maladie, d’incapacité de travail, de préretraite ou plus largement en cas de questionnement de pause carrière.
Dans ce système, encadré en France par le Code de commerce, mais exempt de tout cadre légal en Belgique, le ou la propriétaire d’un fonds de commerce en cède l’exploitation (tout en en restant propriétaire), à un gérant libre. Ce qui libère le ou la propriétaire de toutes les tâches quotidiennes liées à l’exploitation du fonds, vu qu’une fois le contrat signé, il l’exploite personnellement, à ses risques et périls sous sa seule responsabilité, tout en en payant les charges et en en percevant les fruits. Le bailleur ou la bailleresse garde dès lors entre ses mains son fonds et son bail commercial ou son droit d’occuper les lieux, et rétrocède le droit d’utiliser et d’occuper ce fonds à un gérant libre. Ce dernier, en échange de cette mise à disposition, le rétribue doublement : d’abord en lui payant l’équivalent du loyer lui permettant d’occuper les lieux, et secundo, en lui payant une « redevance » (soumise à TVA) lui permettant d’exploiter le fonds et d’en utiliser tous les attributs (en ce compris, le mobilier, le matériel, le stock, le staff, l’enseigne, bref, tous les éléments constitutifs du fonds de commerce). Naturellement, le montant de la redevance doit être calculé de manière à ne pas handicaper lourdement le gérant libre dans son exploitation et sa rentabilité, faute de quoi le montage serait mort-né. Soyons toutefois précis : ce n’est ni une vente « à crédit », car d’entrée de jeu il n’y a pas directement une vente, et ce n’est pas non plus une sous-location, car cette dernière ne concernerait que les locaux, et non le fonds de commerce qui y est exploité.
Ce mécanisme très souple peut également être saupoudré de conditions d’accès ou liées à l’exploitation. La créativité y reste maître et vos désirs les plus fous pourront, à condition de respecter la légalité, y être intégrés. Certain.e.s propriétaires de fonds exigent le paiement d’un droit d’entrée (arrhes), afin que le gérant libre démontre son engagement en prenant un risque financier calculé. D’autres autorisent le gérant libre à échéances régulières à acquérir le fonds de commerce en pleine propriété à un niveau de prix fixé dans le contrat initial. Cette option d’achat peut être soumise à conditions, tout comme elle peut prévoir que les redevances payées tout au long du contrat (au même titre que le droit d’entrée) pourront être déduit(e)s du prix de vente (à l’inverse du loyer qui, lui, reste une charge non déductible du prix). De même, un tel contrat peut être consenti à durée déterminée ou indéterminée, au bon vouloir des parties.
“La gérance libre et autonome permet de s’autofinancer sans passer par la case banque et de tester un concept de manière souple”
Pourquoi ce système risque de prendre de l’ampleur ?
Bien que pratiquant cette méthode depuis plus de 20 ans à faible échelle, on constate un regain de curiosité et d’intérêt pour ce montage depuis quelques mois. L’accès toujours plus ardu au financement bancaire complexifie la vie des restaurateurs.rices, leur apport se devant d’être toujours plus élevé, et leurs plans financiers toujours plus prudents. Les starters éprouvent, quant à eux, toujours plus de difficultés pour atteindre ce marché, tant les conditions d’accès restent exigeantes, et les prix des fonds de commerce élevés, quoi qu’en phase de tassement. La gérance libre et autonome permet de s’autofinancer sans passer par la case banque et de tester un concept de manière souple. Cela constitue en quelque sorte une « période d’essai » payante. L’engagement financier reste plus ou moins moins bas et la prise de risque limitée. À condition de bénéficier d’un droit de regard sur l’exploitation, éteindre l’incendie d’un établissement qui performe moins bien est très aisée et la reprise en main par le bailleur ou la bailleresse est rapide. Il y a peu de perte de valeur a priori, et un confort de vie est assuré pour le bailleur. Tout le monde y gagne.
Des avantages et inconvénients de cette méthode
En donnant votre fonds en gérance libre, vous aurez compris que vous perdez tout contrôle sur votre fonds de commerce au profit d’un tiers qui devra vous payer mensuellement sur une période étalée. D’où la nécessité de rédiger un contrat adapté et serré lequel prévoira tous les cas possibles de litige. Un état des lieux devra être réalisé à l’entrée du gérant libre pour éviter ensuite toute discussion en cas de casse ou de dégât locatif. De même, tout au long du contrat, nous conseillons toujours de prévoir une clause enjoignant le gérant libre à entretenir, et au besoin, réparer voire remplacer, tout matériel qui serait dégradé.
Le contrat de gérance libre devra prévoir différents niveaux de sécurisation pour le bailleur, lui permettant, dès qu’un montant est impayé et de plein droit, de récupérer son fonds moyennant un préavis très court, et le cas échéant d’exiger une ponction sur la garantie constituée afin d’effectuer les réparations d’usage.
Enfin, il est déconseillé d’autoriser contractuellement un ou une gérant.e libre à modifier la nature du fonds qu’il prend en location. En effet, si vous donnez votre pizzeria en gérance, et qu’après un an de bons et loyaux services, votre locataire-gérant.e vous rend son tablier, et accessoirement, un rutilant bar à chicha du plus bel effet, vous risquez fort de ne pas être satisfait.e.
Le bailleur ou la bailleresse prend toujours un risque, calculé certes, que son ou sa gérant.e libre n’exploite pas correctement le fonds, et lui apporte une perte de valeur, voire, dans le pire des cas, une faillite virtuelle. On parle bien de « virtuelle », car vous l’aurez compris, le gérant libre ne possède pas le fonds de commerce ni aucun de ses éléments constitutifs. Dès lors, en cas de faillite ou de déconfiture de ce dernier, un curateur n’aura aucune mainmise sur ces actifs, devant se contenter de clôturer sa mission en rendant les clés au bailleur, sauf cas de fraude avérée bien sûr. Un droit de regard sur l’exploitation semble donc être une clause contractuelle à prévoir obligatoirement dans ce type de contrat.
Enfin, le bailleur qui serait mû par l’urgence et aurait besoin rapidement de fonds disponibles ne trouvera pas son compte dans ce mécanisme, vu que les fonds sont payés mensuellement sur une période plus ou moins longue.
Par contre, beaucoup d’avantages sont offerts au ou à la candidat.e gérant.e libre : une forme de financement alternative ne nécessitant aucune tracasserie bancaire, une souplesse contractuelle permettant à peu de choses près toutes les fantaisies dans la rédaction du contrat, peu, voire pas d’engagement financier de départ, la possibilité de reprendre un établissement en pleine activité et générant un chiffre d’affaires et des bénéfices plantureux, quand ce n’est pas une véritable institution dont il est question.
Mais le bailleur n’est pas en reste pour autant, surtout s’il cherche acquéreur pour un Horeca à très gros débit et donc à la valeur théorique élevée, voire très élevée, et donc inaccessible pour la majorité des candidats qui ne disposent ni des fonds, ni des capacités de financement. De même, si le gérant-libre est réellement talentueux, il fera croître la valeur du fonds de commerce du bailleur ou de la bailleresse.
En conclusionTout le monde gagnerait à utiliser plus souvent ce système, surtout dans la période d’incertitude actuelle, et tout autant eu égard aux difficultés structurelles de financement de l’Horeca via le système bancaire. En cette période de challenge et de questionnement pour beaucoup, ceci permettrait à chacun, cédant et cessionnaire, vendeur et acheteur, bailleur et gérant-libre de faire un pas vers l’autre avec un risque limité. |