Profession : designer sonore pour l’Horeca
Be Horeca

Be-Job : Profession : designer sonore pour l’Horeca

On aime un établissement pour son offre, hôtelière ou culinaire, la déco, la qualité du service, le sourire de son personnel… mais aussi, pour sa bande-son, qui participe pleinement à l’expérience. Dan Klein, musicien et mélomane, est l’un de ces experts qui habillent les lieux de musique et ensorcellent nos oreilles…

Par Sigrid Descamps. Photos DR sauf mentions contraires.

Musicien, producteur, DJ, consultant… Dan Klein est une figure bien connue de la scène musicale belge. Après avoir fait danser les foules durant plus de dix ans avec le groupe rock Vismets, avant de se diriger vers la composition de bandes sonores pour le cinéma et la télévision, il opère désormais dans l’ombre, orchestrant les B.O. de films et séries, mais surtout, celles d’établissements Horeca belges et étrangers. Il revient avec nous sur les coulisses de ce métier à part.

Comment passe-t-on de rock star à designer sonore ?

Dan Kleine
Dan Kleine

(Sourires) Avant d’être un musicien, je suis un mélomane, un amoureux, un passionné de musique. Je suis devenu musicien, parce que j’aimais ça et que je possédais certaines aptitudes… Lorsque je suis devenu papa, j’ai continué à faire de la scène, mais le rythme de vie ne me convenait plus. J’ai donc commencé à faire de la musique de film, ce que j’adore faire. En parallèle, je suis devenu résident sur Kiosk Radio ; je collectionne des vinyles de styles différents, des choses assez niches et on m’a proposé de venir jouer mes disques sur Kiosk. J’avais beaucoup de bons retours par rapport à ma programmation. C’est comme cela que Jean-Michel André, alors propriétaire du JAM Hotel, qui savait que je possédais une collection de musiques japonaises, m’a proposé de faire la bande-son du spa japonais Atsukan, qu’il avait imaginé avec Lionel Jadot. C’était mon premier projet du genre ; je ne savais même pas comment le facturer (sourires). En fait, avec le design sonore, je reviens à mes premiers amours, la musique. Je dirais qu’aujourd’hui, c’est le mélomane qu’on appelle, pas le mec qui a eu un groupe de rock. D’ailleurs, je ne le mets pas du tout en avant dans mon travail car je n’ai pas envie que les gens pensent que je ne sais créer que des atmosphères rock… alors que jusqu’à présent, je n’ai pas encore mis un morceau de rock dans l’une de mes playlists.

Quels ont été tes principaux projets après l’Atsukan ?

Dans la foulée, Lionel Jadot m’a mis en contact avec les propriétaires d’un food court à Lyon, le Food Society. Un espace « world » dans lequel j’ai amené mon identité, en transposant ma passion pour la world music. Je leur ai proposé un voyage musical, qui fonctionnait très bien. Ce projet en a appelé un autre : il y a eu le Certo, la maison du diamant… Puis, les playlists de la marque Bellerose. J’ai alors créé mon agence de conseil musical, Mustard & Bongo. Mais un grand pas a vraiment été franchi lorsque j’ai passé un week-end à La Mamounia ; sur place, j’ai senti le lieu, observé, écouté… et à mon retour à Bruxelles, j’ai planché sur un avant-projet qui mettait en musique cinq zones emblématiques de l’hôtel et je leur ai envoyé. Cela leur a plu ! A partir de là, tout s’est accéléré… Les projets se sont enchaînés. Je travaille pas mal avec Litvine Society : j’ai fait l’habillage sonore de La Villa Lorraine, Le Variétés, Lily’s, Lola, je viens de terminer le Jam hotel à Lisbonne… Et là, je vais m’occuper de The Mix.

A quoi doit-on prêter attention quand on habille un lieu ?

Dan Kleine
Dan Kleine

Trois choses doivent se rencontrer : l’attente du client, sa cible et puis, il y a qui tu es, toi. Le résultat, c’est une balance entre les trois ; comprendre les attentes de ton client, le guider en comprenant qui il va recevoir et quel est son concept. Et tout ça doit passer par ton prisme, ton oreille, ta culture. C’est un jeu d’équilibre. Pour chaque projet, j’aime d’ailleurs me rendre sur place en amont, pour m’imprégner, sentir le lieu, rencontrer les gens… J’y retourne ensuite pour voir si ça colle, et adapter si besoin.

“Quand on vient dans un restaurant ou un hôtel, ce qui prime, c’est l’expérience et la musique permet de sublimer tout cela.”

Concrètement, vous devez créer des plages de quelle durée ?

Ça dépend de l’endroit. Pour un lobby d’hôtel, je dois penser à une plage de minimum 24 heures… J’essaye dans ce cas-là, de programmer de longs morceaux avec peu d’accroche mélodique, cela permet d’éviter une certaine redondance car ces morceaux sont moins identifiables et accrochent moins l’oreille. On doit éviter que le client ou le personnel se dise à un moment « Je n’en peux plus d’entendre ce morceau. » (Rires) Ici, on bosse sur des plages qui sont très longues. On est vraiment dans de l’habillage, dans l’atmosphère… Généralement, j’essaye de livrer au minimum le double de ce dont ils ont besoin. Si le client me dit : « Entre 8h du matin et 16h, il se passe ça, il faut qu’il y ait tel style de musique qui joue… » ; on est sur un laps de temps de 8 heures et je vais leur conseiller de leur livrer 16 heures. Et, ce, pour éviter tout risque de redondance étouffante. Il faut savoir que j’update ensuite les playlists tous les mois. Après, évidemment, tout dépend aussi du budget, des envies… Et de la matière avec laquelle on travaille. Si je fais de « l’ambient », avec des nappes de synthé, on n’a pas beaucoup de mélodie, on est sur quelque chose qui est très étiré dans le temps, on peut se permettre de moins nourrir la playlist au début, parce qu’on est vraiment en train d’englober l’oreille du client ; on n’arrive pas avec quelque chose de très précis, de très reconnaissable…

Vous compilez des morceaux ou vous composez ?

Pour ce genre de projet, je ne fais que de la programmation. On vient me chercher pour mon oreille. On me demandera peut-être un jour de composer, mais c’est une tout autre approche…

Quel est le taux de renouvellement des playlists ?

Je propose généralement de les updater à raison de 20% tous les mois. En sachant que je ne remplace pas des morceaux existants, j’en ajoute de nouveaux. Ce qui va être intéressant, c’est d’arriver au bout de plusieurs mois, un an, à une proposition très riche. Rien n’empêche l’année suivante de revoir l’ensemble, pas en repartant de zéro, mais en retirant par exemple, une partie des premiers morceaux, et en remplissant avec d’autres.

Vous travaillez au forfait ?

Pour la création des playlists, je bosse à l’heure sur base d’un devis. Le renouvellement, par contre, c’est au forfait. Le plus gros du travail, le plus chronophage, c’est la création de l’identité de base, la recherche de tous les morceaux qui vont constituer l’offre de base. Je passe énormément de temps à écouter de la musique, à chercher et classer des sons, par famille, par univers… Je collecte ensuite dans tous ces dossiers que je crée non-stop les morceaux qui colleront à tel ou tel univers.

“Dans certains endroits, ma musique va aider des gens à se relaxer, et, dans d’autres, elle va leur donner envie de danser !”

Pour diffuser vos playlists, vous passez par une plateforme de type Spotify ?

Dan Kleine
Dan Kleine

Non, c’est d’ailleurs illégal (voir page xx). Par contre, d’anciens employés de Spotify ont créé en 2013 Soundtrack Your Brand, une plateforme professionnelle totalement légale pour les restaurants, les hôtels, les commerces… C’est un outil exceptionnel et très fiable, qui me permet de gérer les playlists à distance. Je peux voir quels morceaux sont diffusés à quelle heure par exemple, modifier la programmation, le calendrier… Le personnel des établissements n’y a pas accès, il peut juste moduler le son.

Quel est le plus gros défi à relever ?

Surprendre le client avec quelque chose qu’il n’attendait pas nécessairement. C’est ce que j’aime. Il m’arrive aussi de suivre des briefings très précis, où je comprends qu’il est inutile d’essayer de l’emmener ailleurs, au risque de ne pas plaire. Par contre, quand on me laisse m’exprimer, c’est formidable car je peux prendre des risques et amener des sons qu’on ne connaît pas forcément! J’aime résumer mon métier en disant que je fais de l’easy listening haute couture (sourires). Je me vois comme un créateur de souvenirs, avec l’émotion pour matière première. Quand on vient dans un restaurant ou un hôtel, ce qui prime, c’est l’expérience et la musique permet de sublimer tout cela. Notre mémoire émotionnelle est étroitement connectée avec les sons, la musique en devient un outil puissant, qui peut faire ressentir des choses, mais aussi provoquer des actions, des réactions… J’aime me dire que dans certains endroits, ma musique va aider des gens à se relaxer, et, dans d’autres, elle va leur donner envie de danser !

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