Be-profitability
Be Horeca

Be-Profitability : Connaître son établissement au centime près

Après avoir choisi son concept, défini sa localisation et s’être informé.e sur les aides et primes possibles, il est temps de s’attaquer à l’achat des matières premières. C’est donc la quatrième partie de la Roue de la Rentabilité, proposée par la Fédération Horeca Bruxelles pour aider les entrepreneur.euse.s à cibler les éventuels problèmes de rentabilité de leur établissement. De la création de la carte au choix des fournisseurs, en passant par le grammage des plats, il faut avoir un œil sur tout.
 

Roue de la Rentabilité
Roue de la Rentabilité

Achat des matières premières: simplement faire les courses ?

Il y a quatre ans, un.e entrepreneur.euse Horeca faisait environ 10.000 euros de bénéfice sur un chiffre d’affaires total de 575.000 euros. Mais en 2022 ce bénéfice se transformait en perte de plus de 55.000 euros, selon les chiffres de Foodservice Alliance, une agence de recherche qui publie annuellement le baromètre du secteur des services alimentaires. Selon ces analyses, les restaurateur.rices.s devraient donc avoir augmenté leurs prix de presque 18% entre 2019 et 2023 afin de rester rentables.

Mais avant d’augmenter les prix (en espérant augmenter sa marge bénéficiaire), il faut comprendre en quoi consistent les coûts. Et surtout savoir les gérer. L’achat de matières premières, le coût du personnel et les bénéfices récoltés en fin de course devraient chacun représenter un tiers du chiffre d’affaires. Pourtant ces pourcentages ne tiennent souvent plus la route, entre autres à cause de la hausse des prix des matières premières de 20% à 30%.
 

Achat de matière première

Il était une fois un temps où les chef.fe.s de restaurants faisaient leurs courses au marché matinal pour y trouver un tas d’ingrédients frais et intéressants. La plupart avait cette passion et pouvait se permettre de cuisiner au jour le jour. Parfois en obtenant un gain d’argent et parfois pas. Mais peu importait car il y avait suffisamment de clients qui consommaient beaucoup et revenaient souvent. Ce temps-là est malheureusement révolu, comme nous l’apprennent les chiffres. Aujourd’hui, si on veut être rentable, il faut évoluer et se professionnaliser. Moins d’improvisation et plus de gestion sont les clés d’une rentabilité.

Commençons par le début : la carte. Quels plats va-t-on proposer ? Allons-nous travailler avec des produits de saison ? Comment va-t-on anticiper la fluctuation des prix des produits sur le marché ? Toutes ces décisions ont énormément d’importance et doivent être prises en compte dès la création du concept. Une fois que les restaurateur.rice.s ont choisi quels plats mettre à la carte, ils et elles peuvent s’atteler à la recherche d’un/plusieurs fournisseur(s). Chacun a ses propres spécialités et sa gamme de prix. C’est donc aux restaurateur.rice.s de décider à qui s’adresser.
 

Food Cost

Chacun des quartiers de la Roue de la Rentabilité a des conséquences sur le suivant. Avoir une vue précise des coûts de l’achat des matières premières pour son établissement est donc primordial afin de pouvoir calculer son food cost par la suite. Celui-ci se calcule en additionnant le coût des matières premières et les variations de stock, puis en divisant cela par le chiffre d’affaires total.

Une erreur fréquente consiste à ‘oublier’ de calculer la variation de stock et le ratio de roulage, les pertes inévitables d’un établissement (vol, casse, pertes directes…). Mais c’est cette précision qui fait du food cost une étape importante, vu qu’elle donne ensuite la possibilité aux restaurateur.rice.s de fixer le coût du plat et a fortiori son prix à la carte (le prochain BeHoreca devrait nous en dire plus à ce sujet).
 

Différents outils

Comme les restaurateur.rice.s l’auront compris, il y a donc un tas de données à prendre en compte et de calculs à exécuter. Et un.e gérant.e, ou un.e chef.fe d’établissement, ne prend pas toujours le temps. C’est pourquoi il existe plusieurs systèmes et programmes d’aides tels que Grainz, Aapi, Horeko, Lightspeed, ainsi que des options de consultance comme B&B Consulting et HorecaFocus. Le plus important est de prendre le temps et de monitorer régulièrement ses coûts.

 

Grainz : un logiciel qui calcule tout en temps réel

Parmi les outils les plus pratiques pour bien calculer son food cost en temps réel et pouvoir adapter ses commandes au jour le jour, figure Grainz. Ce logiciel prend en compte les actions quotidiennes d’un.e gérant.e d’établissement, comme les changements de recettes et les livraisons, et calcule les marges en temps réel. « Le problème du et de la gérant.e, c’est que bien souvent il ou elle n’a accès à sa marge brute que par après quand il ou elle reçoit son bilan trimestriel », explique Nick Balfour, entrepreneur et créateur du logiciel. « Je voulais être capable de gérer au centime près ce que je dépense et ce que je vends, c’est comme ça que Grainz est né. »

Nick est également co-gérant des Ginette Bars, trois établissements bruxellois qui utilisent Grainz à 100%. Selon l’entrepreneur, la rentabilité d’un établissement dépend de centaines de petites choses qui évoluent quotidiennement, ce qui rend très compliqué le contrôle de son business à tout moment.

Dormir tranquille

Le logiciel a également développé un système pour le fournisseur, afin d’être le partenaire idéal pour tout.e acteur.rice dans le secteur vertical de la nourriture. « C’est un secteur très vaste avec énormément de transactions », explique Nick. « Si les deux côtés d’une transaction sont gérés par le même outil, imaginez les avantages ! ». L’équipe derrière le logiciel aide le ou la restaurateur.rice à encoder ses produits et met en place un plan d’action. Si les recettes et les commandes sont précisées correctement, le logiciel offre une vue complète et très détaillée de la rentabilité par plat et par recette.

« Grainz est le partenaire idéal pour tout.e acteur.rice dans le secteur vertical de la nourriture »

Selon Nick, c’est l’outil idéal pour gérer au mieux son business en toute quiétide. « Grâce à ce logiciel je dors tranquille et j’ai envie d’ouvrir un nouveau restaurant », explique-t-il. « Je sais que c’est un outil qui va me soutenir et avec lequel je suis en contrôle tout le temps. D’ailleurs… On ouvre un quatrième établissement Ginette en janvier. »

 

Logiciel ou… agence ?

Ahmed Benlmouaz
Ahmed Benlmouaz

Ahmed Benlmouaz, spécialiste dans la gestion Horeca, partage le même avis : c’est le manque de gestion qui pose problème. Il précise : « Les professionnel.le.s du secteur sont des artisans et ont souvent de l’or entre les doigts, mais malheureusement ce ne sont pas forcément de bon.ne.s gestionnaires ». C’est pour cela que l’expert dans ce métier a créé B&B Consulting, une agence de consultance qui veut aider le secteur Horeca.

Est-ce réellement possible d’avoir un bon chiffre d’affaires, mais de ne pas gagner sa vie ?
A.B. Malheureusement oui. On peut même faire 10 millions de chiffre d’affaires et perdre de l’argent. Dégager une marge bénéficiaire est très compliqué, et souvent quand on se rend compte que ça va vriller, il est déjà trop tard.

« Ce n’est pas donné à tout le monde d’interpréter des chiffres »

Comment éviter de se retrouver dans ce cas de figure ?

A.B. : Il ne faut pas attendre le bilan de fin d’année pour monitorer ses coûts. Ce que je remarque chez mes client.e.s c’est qu’ils manquent de savoir-faire managérial. Sans savoir ce que coûte sa matière première, sans avoir un bon fournisseur ou sans gérer son stock, le ou la restaurateur.rice est dans l’ignorance et fonce droit dans le mur. C’est ce qu’il faut éviter en mesurant les performances régulièrement. Il y a un proverbe américain qui résume bien ma façon de penser : « What gets measured, gets done ».

Y a-t-il assez d’outils pour aider le restaurateur à prendre ses mesures ?
A.B. : Si le ou la gérant.e d’établissement ne sait pas comment faire, il ou elle doit être formé.e, coaché.e ou consulter des spécialistes dans le domaine pour l’aider. Malheureusement, le ou la restaurateur.rice reste souvent dans son coin, au risque de piloter son établissement à l’aveugle. Il existe des outils informatiques extraordinaires pour calculer les meilleurs prix d’achat de matières premières et le food cost, mais si l’entrepreneur.se ne sait pas interpréter les chiffres, ça ne sert à rien. Moi aussi je serais paniqué si on me mettait au fourneau d’un restaurant, alors il est normal pour un.e restaurateur.rice de parfois ne pas s’en sortir administrativement, mais il ne faut pas avoir peur de demander de l’aide.

 

Des conseils pour gérer ses achats de matières premières Par David Debin

David Debin
David Debin

Expert dans le volet social à la Fédération Horeca Bruxelles, David Debin connaît bien le sujet et il est souvent consulté par des dirigeant.e.s d’établissements en difficulté financière. D’après lui, l’approvisionnement en matières premières s’avère être un défi complexe. Voici ses cinq conseils pour bien faire ses courses et calculer au plus juste ses prix.

1.Vérifier et renégocier les prix des produits chez le fournisseur

Ce premier conseil est un travail très important, car les différences de prix entre certains fournisseurs peuvent être assez importantes. « Souvent les restaurateur.rice.s commandent tout chez le même fournisseur pour se simplifier la vie », explique David. Mais c’est une approche risquée, car tous les fournisseurs ne proposent évidemment pas les meilleurs produits aux meilleurs prix (sinon il n’y aurait plus de concurrence). « Chaque fournisseur est différent et il est donc important pour le ou la restaurateur.rice de décider en amont vers quels produits et quelle gamme de prix il ou elle souhaite se diriger », explique-t-il.

Le spécialiste social encourage les restaurateur.rice.s à explorer des systèmes d’achats groupés, surtout pour de plus petites structures qui peuvent de cette manière bénéficier de meilleures offres en regroupant leurs commandes. Ce petit reminder pour rappeler qu’il ne faut pas toujours considérer ses voisin.e.s comme des concurrent.e.s, mais plutôt comme des collègues qui affrontent souvent les mêmes problèmes.

2.Organiser sa carte avec des produits de saison

Il n’y a pas de miracle, le prix des matières premières fait partie des calculs à faire dès le départ de son activité. Dès la création de la carte, il est impératif de réfléchir aux produits qu’on souhaite utiliser. David conseille de travailler avec des produits de saison et d’adapter sa carte en fonction. « Par exemple, il sera plus avantageux de travailler avec des asperges au printemps, qu’au mois de décembre », précise-t-il.

3.Contrôler les commandes et les factures

David Debin met également en garde les retaurateur.rice.s contre le piège qui consiste à ne pas surveiller régulièrement les prix après la création du menu. « Malheureusement, bien souvent les gérant.e.s d’établissements font leurs calculs au moment de créer leur carte et ne modifient plus les prix plus tard », explique-t-il. « Mais le prix des marchandises évolue et si l’on n’y fait pas gaffe, un établissement peut très vite se retrouver avec un food cost qui ne tient plus la route ». Il faut donc surveiller ses commandes, même si elles sont encodées dans un programme automatique, et contrôler régulièrement les factures. Si le ou la chef.fe de cuisine n’est pas le ou la gérant.e de l’établissement, une bonne communication est primordiale.

« Si les fluctuations des prix posent un défi constant aux dirigeant.e.s de l’établissement, il peut être intéressant de négocier des prix stables avec le fournisseur pour certains ingrédients », continue David. Et si cela ne fonctionne pas, il conseille d’inclure les fourchettes de prix dans ses fiches techniques, afin d’être préparé aux variations en amont.

4.Mettre ses fiches techniques à jour

En parlant des fiches techniques… Celles-ci doivent être complètes et mises à jour régulièrement, car elles dépendent des achats de matières premières; quels plats, quels produits, quelles quantités, quels fournisseurs… Tout doit être calculé au centime et au gramme près dans les fiches techniques, sans oublier les pertes directes de certains produits. « Pour certaines viandes, il y a une perte directe de 10% à 15%. Pour certains poissons, ça va même jusqu’à 70% », précise David. « Si on n’inclut pas ceci dans ses fiches techniques, on peut à nouveau se retrouver avec un food cost incorrect. »

Par-dessus tout, il faut vérifier régulièrement les prix utilisés, les adapter si besoin et vérifier les quantités servies par plat. Par exemple : « Si tu prévois 250 grammes de carbonnades flamandes dans les assiettes, mais que ton ou ta chef.fe en met 300 grammes à chaque fois, ça fait une énorme différence à la fin du mois ou du trimestre, » commente David. À chaque étape, depuis l’élaboration d’un plat jusqu’au service en salle, il faut tout analyser et ne rien laisser au hasard.

5.Utiliser des outils adaptés à ses besoins et avoir de la rigueur

David reconnaît que le secteur de la restauration connaît une évolution importante, passant d’un métier de passion à celui de gestionnaire. « Aujourd’hui il faut vraiment être polyvalent pour pouvoir tout analyser et optimaliser », conclut David. C’est pour cela que l’expert souligne la nécessité pour les restaurateur.rice.s d’adopter une approche plus professionnelle, et la possibilité d’utiliser des outils judicieux pour assurer la rentabilité d’un établissement, comme Excel ou Grainz. Mais David nuance : « Tu peux avoir tous les outils du monde, si tu ne les utilises pas ou si tu les utilises mal, ça ne sert à rien. Il faut avoir de la rigueur et se comporter en bon parent. »

Conclusion

Non, l’achat de matières premières ne se résume pas (ou plus ?) à simplement faire ses courses et choisir au hasard ses produits. Aujourd’hui, la gestion des achats de matières premières dans la restauration exige un équilibre délicat entre créativité et discipline. Cela nécessite une adaptation constante aux changements du marché et un contrôle rigoureux des coûts.

Il faut faire attention à ce qu’on met sur sa carte et à quel moment de l’année. Il faut contrôler les prix de ses fournisseurs, et éventuellement renégocier ceux-ci. Prendre un deuxième fournisseur, afin de faire jouer la concurrence, ou faire des achats groupés de matières premières sont également de bonnes options pour optimiser son food cost. Ensuite il faut se poser, faire ses calculs, ne pas oublier son inventaire de stock, compter les écarts de coûts possible comme le vol et le gaspillage… Et le plus important : il ne faut pas avoir peur de demander de l’aide quand c’est nécessaire !