Êtes-vous réellement rentable ?
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Be-Solutions : Êtes-vous réellement rentable ?

La thématique enflamme le secteur de l’Horeca qui chavire de crise en crise. Entre coûts des matières premières, frais de personnel etc., l’équilibre financier d’un établissement est parfois terriblement challengé. Lors du dernier Apéro Club organisé par la Fédération Horeca Bruxelles, le consultant Ahmed Benlmouaz (B&B Consulting) a abordé l’amère question de la gestion des coûts, pour le meilleur et pour le pire.

Par Romane Henkinbrant

 

Ma petite entreprise… connaît la crise.

Plus de doute possible, le secteur de l’Horeca enchaîne les crises et subit fortement leurs retombées. Selon le dernier baromètre de Food Service, un entrepreneur de l’Horeca faisant un chiffre d’affaires de 575.000 € en 2019 obtenait un bénéfice de 10.000€. En 2022, il est en perte de 58.000€. « C’est assez interpellant », explique Ludivine de Magnanville, présidente de la Fédération Horeca Bruxelles. « Comment peut-on aujourd’hui augmenter ses prix, dans quelle mesure et comment survivre à ça ? ».

Au cours des six derniers mois, 88% des gestionnaires Horeca inscrits à l’Apéro Club du 27 mars 2023 ont augmenté leurs prix pour répercuter cette hausse des coûts. Parmi eux, la majorité (60%) ont opéré une majoration de 5% à 15%. Pourtant, cela ne suffit pas : selon les analyses, il faudrait avoir augmenté progressivement ses prix de presque 18% de 2019 à 2023. « Les restaurateur.rice.s du pentagone ont peur d’augmenter leurs prix car leur clientèle est principalement des touristes qui n’ont pas forcément été indexés et qui font fort attention aux prix. D’autres ont simplement peur de perdre des clients », justifie Ludivine de Magnanville.

Selon Ahmed Benlmouaz, il est important de prendre des dispositions en visant sur du long terme et sur la pérennité du secteur : « Une grosse crise a été prise de plein fouet et il faut s’assurer de pouvoir, en cas d’autres crises ou d’évolution, avoir une certaine marge de manœuvre ».

 

Et les coûts, dans tout ça ?

Augmenter de 18%, oui. Mais que faire des coûts ? Pour comprendre leur impact et comment les gérer, il faut d’abord les lister. Dans la restauration, la référence est la règle des trois tiers :

  • 1/3 de matières premières (Food Cost ou Cost of Goods Sold)
  • 1/3 de personnel
  • 1/3 de bénéfices

Néanmoins, aujourd’hui, la marge bénéficiaire générée diminue au profit des coûts du personnel (notamment suite à l’indexation de janvier 2023) et de la matière première (qui a fortement augmenté).

Pour envisager de diminuer ces derniers, il faut d’abord pouvoir les évaluer et suivre leur évolution au jour le jour (ou au moins mensuellement) dans un marché de plus en plus instable. Le mot de passe ? Monitorer !

Quels outils pour monitorer avec style ?

Des dispositifs ultra-sophistiqués ou… un simple tableau Excel, le secret étant d’être régulier. Même avec la Rolls-Royce du monitoring, sans réelle volonté, le logiciel ne pourra pas vraiment vous aider. Néanmoins, voici une liste d’outils informatiques pour vous simplifier la vie : Growzer, Aapi, Horeko, Brightanalytics, Qlick, Odoo, Yuki, Lightspeed et Apicbase.

Bien calculer son Food Cost

Le Food Cost est l’un des trois leviers essentiels dans l’économie d’un établissement Horeca. Pourtant, il est souvent mal évalué : de nombreuses entreprises considèrent simplement le montant de l’achat de matière première sur une période X, mis en proportion par rapport au chiffre d’affaires généré sur cette même période. Mais dans ce calcul manque la notion de variation de stock, pourtant primordiale.

Dans mon panier, j’ai…

La variation de stock se calcule en considérant le stock en début et en fin de période. Par exemple, le 1 er mars 2023, j’ai une valeur d’inventaire de 15.000€. À la fin du mois, elle est de 10.000€. Si j’ai acheté pour 20.000€ de matière première ce mois-ci mais que j’ai consommé pour 5000€ de mon stock, ma consommation réelle est de 25.000€. Au contraire, si j’ai enrichi mon stock de 5000€, ma consommation réelle n’est que de 15.000€.

L’objectif est que le coût idéal se rapproche au plus près du coût réel. La différence s’appelle dans la restauration un ratio de coulage qui correspond à la perte, la casse, le vol… liés à l’achat et au stockage de marchandises. Il ne devrait pas dépasser 2% du chiffre d’affaires de l’établissement. Dans une activité composée de structures de coûts différentes (par exemple un hôtel qui possède plusieurs restaurants, un room service, un service banquet, deux bars, etc.) et percevant donc différentes sources de revenus, il est important de calculer le Food Cost pour chaque point de vente. Cela permettra de voir où se situe le problème en cas de résultat peu réaliste.

Rentabilité, quand tu nous tiens

La marge bénéficiaire dépend de deux variables principales : les coûts d’un côté et le chiffre d’affaires de l’autre. Il est donc extrêmement important de bien définir ses prix de vente et de les monitorer car c’est eux qui assureront la rentabilité de votre établissement. Le menu engineering est une approche intéressante pour optimiser votre carte et la rendre attractive auprès de vos clients. La méthode consiste à classer les plats dans quatre catégories distinctes :

  • Les stars ou les étoiles : des plats aussi populaires que rentables. Il faut donc essayer de les vendre un maximum en les présentant dans la partie la plus attractive de la carte (en haut à droite). On peut également tester l’élasticité du prix en poussant ce dernier un tout petit peu vers le haut.
  • Les vaches à lait : des plats populaires mais peu rentables. On peut éventuellement diminuer le grammage de la matière première utilisée ou, vu leur popularité, revoir le prix. Si cela ne change rien, ils sont intéressants à garder comme élément attractif sur la carte mais il ne faut plus trop les pousser à la vente.
  • Les énigmes : des plats très rentables mais peu populaires. Il peut être intéressant de les booster dans une carte, en les changeant de position pour qu’ils soient plus attractifs. On peut également essayer de changer le nom du plat et former le personnel à la vente ou à la survente du produit.
  • Les poids : des plats peu rentables et peu populaires. Dans l’absolu, le plus simple est de les retirer de la carte.

Comment calculer…

Le seuil de popularité d’un plat ? Prenez le total des plats vendus par gamme (ex. entrée – plat – dessert), divisé par le nombre de plats à la carte, fois 0,7.

La rentabilité d’un plat ? Prenez la rentabilité effectuée sur une période X, divisée par la marge de contribution (votre food cost), elle-même divisée par le nombre de couverts servis sur la même période X.

En résumé, fini la vision linéaire s’étalant sur plusieurs années. Le principal outil pour être rentable, c’est l’agilité par rapport à l’évolution des tendances du marché, que ce soit au niveau des clients ou des fournisseurs. Monitorer voire piloter son entreprise devient une nécessité.

3 manières créatives de diminuer les coûts

Michel de Blaus (Thaï Café) : « Nous avons décidé de répercuter l’évolution des coûts (particulièrement ceux de l’énergie) au moment où ils sont devenus intenables en augmentant les prix d’un euro par personne et par repas. Ça nous a beaucoup aidés car finalement, cela représentait pas mal d’argent. On a beaucoup communiqué à ce propos (site web, communications verbales directes, tables et vitrines des restaurants…) et cela a donc été plutôt bien accueilli par nos clients. Maintenant que les coûts ont diminué, on va supprimer cette « taxe » : l’idée était qu’elle soit temporaire et qu’elle s’arrête, en fonction de l’évolution de l’actualité ».

David Brainis (Harmon House) : « Parfois, on se sent un peu seul dans son business. Comment puis-je interagir avec des associés que je n’ai pas ? Avec d’autres hôteliers bruxellois, on a créé un groupe Whatsapp et on essaie de se donner les bons filons. Par exemple, pour l’énergie, on a pris un courtier mandaté qui a négocié des tarifs pour nous. Ça nous a permis d’économiser quelques petits pourcents et quelques milliers d’euros. C’est chouette de ne pas considérer les autres restaurants de son quartier comme des concurrents mais plutôt comme des personnes qui sont dans le même bateau. Il faut essayer de se créer une petite communauté, des alliés, pour avoir un feedback continu ».

Marc Grimard (Brussels Beer Project) : « Pour réduire notre consommation d’eau, on a d’abord réglé un problème de fuite. Ensuite, on a fait réviser les groupes froids à refroidissement à eau dont on avait hérité en reprenant les établissements. Ils étaient tous réglés au maximum alors qu’ils devraient être réglés en variable. On les a remplacés par des groupes modernes à air, ce qui a considérablement baissé la consommation d’eau sans pour autant faire s’envoler la consommation d’énergie. Un groupe moderne de refroidissement coûte 3500€. En économie d’énergie, on l’a rentabilisé en 9-10 mois et il y a aussi des primes. Il a été placé dans un endroit mieux ventilé pour qu’il ne surchauffe pas. Enfin, on a supprimé le choix des chasses de toilettes et on a placé des flottants ou on les a lestées. On diminue la consommation de moitié. En bref, on est passé de 349m3 d’eau par trimestre en 2019 (1300€) à 149m3 en 2023 (entre 500€ et 600€) ».