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Pourquoi les concepts Horeca s’enflamment puis… s’éteignent ?

Entre flamboyance éphémère et obsolescence programmée, l’Horeca bruxellois – à l’image de toutes les capitales en quête d’identité culinaire – vit au rythme des concepts qui émergent, triomphent, puis disparaissent. Décryptage par Grégory Sorgeloose, co-gérant du cabinet Sorgeloose & Trice, spécialisé dans la cession de commerces Horeca, d’un phénomène aussi cyclique que révélateur de notre époque.

Bruxelles ne mange pas : elle dévore. À l’instar d’autres capitales, elle vit au gré des tendances food qui se succèdent. La capitale goûte, explore, imite, parfois sature sans jamais cesser d’être curieuse. Ancrée dans son histoire profondément locale, elle capte pourtant des énergies venues d’ailleurs. Depuis deux décennies, les tendances Horeca s’y succèdent avec une cadence quasi musicale. Mais pourquoi certains concepts se gravent-ils dans le marbre, tandis que d’autres s’effacent dans l’oubli collectif ?

Une logique cyclique

L’Horeca et la mode ont cela en commun : ils créent des tendances, qui deviennent des modes, entraînant une forme de saturation, puis, finalement, un oubli plus ou moins marqué. L’Horeca se réinvente par cycles successifs. L’objectif est toujours de marquer les esprits, de se démarquer de ce qui existe. Ces vagues ne sont pas anodines : elles racontent quelque chose de notre époque, de nos imaginaires et de notre rapport à la consommation.

Au début des années 2000, le sushi faisait sa révolution. SushiShop, Sushi Factory, Sushi World ou encore Makisu incarnaient cette vague nippo-européenne trendy, ouvrant la voie à ce produit nouveau, exotique et bigrement excitant dans la vieille Europe de l’époque.

En 2025, le sushi n’a plus rien d’excitant, ne fait (quasi) plus preuve d’innovation, s’est démultiplié à tous les coins de rue jusqu’à envahir les supermarchés. Le sushi s’est standardisé, fait désormais partie du décor, et est rarement bon.

Cette même logique s’est appliquée à d’autres produits tels que le burger, la pizza ou les pokés. Les papes en la matière furent des enseignes telles qu’Ellis Gourmet Burger et Be Burger pour les burgers, Nona et MiTo pour les pizzas, Fika et Natural Caffè pour le specialty coffee. Des dizaines d’autres marques leur ont succédé, toujours plus sophistiquées, voire éloignées du produit initial, avec plus ou moins de succès. Certaines ont connu un passage de mode parfois amer, nécessitant en tout cas une remise en question stratégique – ou une mort certaine, comme nous l’a récemment prouvé l’enseigne Be Burger, ayant déposé le bilan. Mais certaines deviennent, a contrario, des classiques.

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Une histoire de codes

Chacune de ces vagues constitue une « famille de concepts », avec ses codes, son esthétique, son langage visuel et, bien sûr, comme pour tout succès qui se respecte, ses copy/paste. Dès qu’un concept pionnier émerge, il est photocopié à l’infini. Et c’est précisément là que se situe le point de bascule : lorsque le concept lui-même se réplique tant et tant qu’il en perd son ADN initial, sa qualité, et l’expérience qu’il offrait à ses clients – avec, à la clé, une conséquence inévitable : une perte d’authenticité.

Ces familles de concepts n’éclosent jamais par hasard. Elles naissent d’un savant mélange d’intuition, d’influences lointaines, de flair marketing et d’un timing socioculturel opportun. Instagram a remplacé le billet d’avion : inutile d’aller à San Francisco pour comprendre Blue Bottle, quelques scrolls suffisent. Ces dynamiques sont connues, balisées. Mais elles n’en restent pas moins fragiles.

De l’évolution naturelle au sein même d’un concept

Les pionniers ont beau avoir le nez creux et répondre, au bon moment, à ce que le marché attend, bien malin est celui qui peut maintenir la cadence au fil des décennies sans trahir son projet initial. Les concepts se créent rapidement, mais évoluent lentement : c’est un fait.

Les enseignes passent inévitablement de mode. Et le marché trouvera toujours celui qui dénichera la variante, le petit « plus », le « add-on » tant attendu qui réenchantera le style et reléguera aux oubliettes la V.O.

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Ainsi, copier n’est pas nécessairement synonyme de perte de qualité. De nombreux exemples nous prouvent qu’une montée en gamme de certains concepts passés par la case photocopieuse sont bien plus aboutis que la version originale.

Anatomie d’un cycle de vie Horeca

À l’instar de la musique ou de la mode, tout concept Horeca digne de ce nom suit une succession de cycles. Certains passent directement du lancement à la mort cérébrale – mais ça, c’est une autre histoire. Ce qui est tendance aujourd’hui risque fort d’être « has been » demain… et vice versa.

  • L’enthousiasme qui accompagne la nouveauté naît d’un frémissement. Une première adresse ouvre, un peu brouillonne, mais l’énergie qui s’en dégage séduit d’abord, puis convainc. Le produit y est souvent créatif, parfois inattendu. Cette première vague attire les créatifs et les foodies de tous horizons, offrant une caisse de résonance bienvenue.
  • S’ensuit toute une clique de curieux et de journalistes, menant l’adresse au sommet de ce qu’il convient de tester en ville. Ce moment de grâce où rareté, exclusivité et désirabilité se conjuguent.
  • Très vite, ce succès démontre une forme de pérennité et de profitabilité, combinée à une haute désirabilité. Si lui/elle l’a fait, pourquoi pas moi ? La duplication se met en marche, et les vocations fleurissent autour de codes communs.
  • Le concept devient « mainstream » et quitte sa sphère d’exclusivité. Il est partout, dans diverses versions et parfois bien éloignées de l’expérience originale. C’est à ce stade que la perte de qualité survient. La quête d’optimisation des coûts s’engage, pour faire face à la concurrence et assurer une croissance maîtrisée. Le récit originel se dilue, la promesse s’affadit. Les clients historiques décrochent.
  • Et vient le point de saturation, où l’offre dépasse la demande, où l’excitation cède la place à la lassitude et au désintérêt.
  • Ce qu’il reste à cette étape ? La mutation du concept… ou l’oubli. À moins d’atteindre le Graal : le statut de « classique », voué à durer.

À moins que l’avenir proche ne nous démontre que désormais, ce sont les concepts « no label » qui auront le vent en poupe – sans identité particulière, et dans un éloge assumé de l’ambiguïté. Affaire à suivre…