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Le concept de Brasserie : hot or not ?

Symbole d’un art de vivre à la française et à la belge, la brasserie fait face à un monde qui change : nouveaux goûts, nouvelles générations, nouveaux défis. Démodée pour certains, résiliente pour d’autres, elle entame une mue forcée entre nostalgie et réinvention.

Si le terme fourre-tout « brasserie » évoque immanquablement un restaurant de grande taille, bruyant, décoré de jeux de miroirs, avec un service quelque peu désinvolte assuré par des «garçons» en livrée noire, où l’on se délecte de plats typiques et répétitifs quoique rassurants, alors oui, nous parlons de la même chose : ce qu’une « brasserie » incarne dans l’inconscient collectif. Décryptage par Grégory Sorgeloose, co-gérant du cabinet Sorgeloose & Trice, spécialisé dans la cession de commerces Horeca.

Né à la fin du XIXᵉ siècle à Paris, le concept a fait des émules dans les grandes capitales européennes. Il mêle encore aujourd’hui une clientèle populaire et soignée, une large amplitude horaire avec un service continu, une carte stable et plutôt vaste, axée sur des recettes classiques, tantôt françaises, tantôt belges. Voici tous les ingrédients d’une bonne brasserie traditionnelle. Et comme disait l’autre (je ne sais plus qui) : « Ce qui n’est pas à la mode ne se démode pas. » Parcours sans faute jusque-là pour ce concept… qui à la base n’en était même pas un.

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La brasserie serait-elle démodée ?

Mais les modes changent. Et si les brasseries ont connu un âge d’or dans les eighties et nineties, le mouvement de la cuisine bistronomique, mêlé à l’émergence de chaînes standardisées et de concepts plus expérientiels, a rebattu les cartes. Sans oublier l’avènement d’une nouvelle génération aux goûts tranchés, sans compromis, avide de rupture. Exit les classiques de Tonton Jean et Tante Cunégonde. Adieu les chariots de desserts gourmands, les plats en sauce épaisse et les fromages puissants en fin de repas, sans oublier le cigare odorant censé faciliter la digestion – ou socialiser avec la table voisine à 17h30, verre de Chartreuse à la main, avant de reprendre le volant. Cette génération de boomers savait vivre, certes. Mais la nouvelle entend bien marquer son époque. Les brasseries ont dès lors été perçues comme trop standardisées, aux matières premières peu sourcées, aux principes galvaudés, et finalement peu modernes. Trop généralistes, elles ont perdu au change entre 2010 et 2020, jusqu’à encaisser ce que beaucoup considèrent comme le coup fatal : l’ère post-Covid, et l’augmentation exponentielle de tous les coûts d’exploitation, provoquant une chute dramatique de la rentabilité pour des établissements censés ouvrir 7/7 non-stop, avec une carte kilométrique.

Une mutation lente

Certains aimeraient faire croire que le concept de brasserie est cliniquement mort et sans avenir. Mais nous n’assistons pas à un décès annoncé, couronne mortuaire à la main, mais bien à une mutation – une hybridation du style « brasserie », désormais enrichie d’ingrédients bien dans l’air du temps : sourcing rigoureux, retour aux basiques, cuisine réellement cuisinée (même si c’est dans la cuisine d’un autre), et bien sûr, un décor revisité -nettoyé comme un saumon avant son passage au gros sel – sans oublier d’autres artifices modernes : options de paiement dématérialisées, portionnage à la pièce, nouvelles modalités de réservation, gestion de l’attente… Le concept de brasserie, loin d’être mort, est entré dans une phase de mutation lente, douloureuse, mais surtout inévitable. Désormais, celles qui réussissent sont celles qui renouent avec leur essence (convivialité, ancrage local, plats populaires) tout en intégrant les codes sociaux et alimentaires actuels. Le décor, comme la musique, fait monter le scoring. Aujourd’hui, la nouvelle hype, c’est peut-être de manger un hareng pommes à l’huile, une saucisse-purée (banale mais délicieuse), suivie d’une coupe Negrita ou d’un Baba au rhum (vous en reprendrez ?). Voilà le vrai exotisme, l’expérience ultime : vécue par les boomers avec nostalgie, par les X, les Millenials et même les Z comme un voyage initiatique vers une autre dimension sensorielle. La mode étant cyclique, le retour aux grands classiques adaptés aux mœurs actuels est inévitable. C’est la voie empruntée avec succès par des groupes comme Big Mamma ou La Nouvelle Garde en France, et plus récemment à Bruxelles, par le groupe Nonante Folies et sa toute nouvelle Brasserie Boemvol. Et les prétendants se bousculent déjà au guichet, sans parler de la montée des « Bouillons », eux aussi en voie d’apparition.

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Quid des problèmes structurels du modèle brasserie ?

Rien de tout cela n’éclipse cependant les défis majeurs du moment : coût de la main-d’œuvre et des marchandises, fiabilité du personnel, engagement, gestion des no shows… C’est là que l’exploitant Horeca démontre une adaptabilité remarquable : la générosité est toujours présente, mais désormais calculée, dosée au strict nécessaire. Les prix sont à la hausse, c’est inévitable. Les portions se réduisent, c’est stratégique. Les plats deviennent modulables avec des formules à composer : cela permet d’étager les prix sans perdre le client d’entrée de gamme. L’analyse fine du food cost, la lutte anti-gaspi, la chasse aux bonnes affaires au marché matinal deviennent la norme. Les horaires s’optimisent via les shifts, les congés sont pensés comme essentiels à l’équilibre de l’équipe. Les réservations sont désormais confirmées la veille – parfois même assorties d’une empreinte bancaire. La stratégie du double flux (une partie de la salle sans réservation) devient religion. Les machines automatiques (fours intelligents, machines à café, programmes de cuisson) font désormais partie intégrante de la cuisine moderne. On peut presque faire tourner une cuisine avec un bras cassé. (Mais quel mauvais jeu de mots, j’en conviens.) Compter toutes les dépenses… sans jamais cesser de compter. Voilà le secret de ceux qui tiennent. Voilà aussi pourquoi les concepts qui marchent sont tenus par des financiers plus que par des diplômés d’écoles hôtelières. Le sauvetage d’une espèce, peut-être. Une perte d’âme, sûrement. Mais préférez-vous le fast-food ? Affaire à suivre…