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Le client : cobaye ou roi-soleil ?

À une époque où l’on parle à longueur de feeds d’expérience immersive, de parcours émotionnel, de scénographie culinaire ou encore d’expérience instagrammable, le client Horeca semble plus que jamais au centre… d’un concept plus proche d’une pièce de théâtre dont il fait lui-même partie du décor que d’une simple restauration.

La quête effrénée du « waouw » est-elle salvatrice, ou oublie-t-on l’essentiel : le service ? Si l’adage affirme que le client est roi, il est parfois aussi le dindon d’une mauvaise farce. La question est posée, et risque de faire couler beaucoup d’encre… ou de faire tache. Décryptage par Grégory Sorgeloose, co-gérant du cabinet Sorgeloose & Trice, spécialisé dans la cession de commerces Horeca.

Sacro-sainte décoration

En mettant de côté les tenanciers Horeca “classiques”, dont l’unique vocation est de nourrir ou d’abreuver leurs fidèles clients sans se préoccuper du décorum, il ne vous aura pas échappé que, dans les concepts food les plus tendance du moment, vous êtes happé dès l’entrée par un univers immersif. Un décor pensé, poussé à l’extrême.
La déco n’est plus un détail, elle est l’expérience, au même titre que le contenu de votre verre ou de votre assiette (ou gobelet, gamelle, poêle…). Cela va du revêtement de sol aux matériaux muraux, en passant par le mobilier, les luminaires, la vaisselle, la verrerie, les objets de décoration. Chaque élément a été sélectionné dans un but précis : vous faire vivre une émotion.

Les cabinets de tendances l’annonçaient dès 2022 : le client Horeca doit désormais voyager, être transporté, dépaysé, ébloui. Le passage au restaurant doit marquer les mémoires, s’inscrire dans la légende personnelle du client – au même titre que le baptême du petit dernier ou une demande en mariage devant la fontaine de Trevi.

Et le service, là-dedans ?

Qui a déjà fréquenté des établissements hors normes aura souvent un avis nuancé sur le service. Parfois affable et efficace, il peut aussi s’avérer aléatoire, avec questions sans réponse, commandes erronées, ou manque total de storytelling autour du produit. Dans trop d’endroits, le personnel de salle n’est plus qu’un porteur d’assiette, ce qui ruine l’expérience pourtant prometteuse. Or, un plat ou un cocktail ne prend vie qu’à travers celui qui le sert, avec passion et connaissance du produit.

L’hospitalité ne s’improvise pas. Et c’est là toute l’ambiguïté d’un secteur qui cherche désespérément du personnel qualifié, souvent trop rare… ou trop cher. Alors on fait appel à des étudiants, une main-d’œuvre bon marché, parfois motivée, souvent désinvolte.
Ces derniers peuvent porter une assiette, tirer une bière, assembler un burger. Mais parler du produit, donner envie, transmettre une émotion, cela demande une vraie culture culinaire et une envie de partager. Heureusement, certains lieux résistent à la déqualification du service. Comme chez Tatar, par exemple, où l’on sait ce qu’il y a dans l’assiette et où le staff incarne le concept. Une montée en compétence du personnel de salle, quand elle s’accompagne d’une approche pédagogique et émotionnelle, transforme l’ensemble : le service devient co-auteur de l’expérience. Et ça change tout.

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Bruxelles, ce grand labo

Le paradoxe du client bruxellois ? Il est exigeant sur le fond, mais souvent indulgent sur la forme. Tant que l’expérience décoiffante est au rendez-vous, il tolérera un service moyen… à condition que l’addition reste raisonnable. Mais plus le ticket moyen grimpe, plus les attentes s’élèvent, autant pour l’assiette que pour la qualité de l’accueil. Les lieux “expérientiels” attirent. Mais fidélisent-ils vraiment ? À chacun d’en juger selon sa propre expérience. Depuis la pénurie post-Covid, on assiste cependant à une lente revalorisation du métier de serveur.
De plus en plus de chefs parlent de leurs équipes de salle comme de véritables ambassadeurs. Les écoles hôtelières revalorisent le savoir-être, le geste, le sens du détail. Le service, longtemps relégué, revient doucement dans la lumière. Et qui sait ? On pourrait même revoir réapparaître les maîtres sauciers, les chariots à fromages, les serveurs conteurs.
Encore un peu de patience : « Vous n’êtes pas encore prêts pour ça… mais vos enfants vont adorer. » Comprendra qui pourra.

À table

Au fond, l’expérience ne vaut rien sans le regard complice, le sourire sincère, ou le petit mot glissé au moment de l’addition. Dans un Horeca scénarisé à l’extrême, où le menu est projeté sur un miroir ou une assiette, le serveur reste le seul maillon non automatisable. Le seul capable de lire dans les yeux du client si tout va bien, de rattraper un raté comme on rectifie une sauce. Et ça, ni le design ni le marketing ne pourront jamais le remplacer. Affaire à suivre…