Dans une ville où des établissements ouvrent et ferment à un rythme qui s’accélère, l’Horeca bruxellois cherche un nouveau souffle. Plus qu’une simple renaissance post-Covid, c’est une véritable métamorphose qui s’opère. Des chefs aux entrepreneurs urbains, chacun cherche la recette capable de résister au temps et aux modes.
De la gastronomie au spectacle avec San Degeimbre
« Pour durer, il faut créer un univers cohérent, une dramaturgie culinaire », explique San Degeimbre (chef doublement étoilé), illustrant la nécessité de connecter cuisine, accueil et récit. Chez Jayu — son nouvel établissement ouvert cet été rue de Flandre — il cultive une cuisine narrative, symbolique qui mêle les codes du spectacle à ceux de la table. « La manière de consommer a changé. Les gens aiment prendre le temps de dîner mais ne veulent plus rester 4h à table (même dans les gastros). Ils aiment gérer leur temps et veulent augmenter le nombre d’expériences dans un temps défini. Ils viennent pour manger, mais ils cherchent aussi un moment de déconnexion, un voyage. Le restaurant devient une scène. » Chez Jayu, la soirée est minutée comme une pièce de théâtre : 12 convives, 12 actes, 120 minutes. Le client choisit son horaire (18h ou 20h30) et s’inscrit dans un tempo qui respecte son temps libre. Ici, la Corée s’offre dans l’assiette, mais aussi dans les gestes, les sons, la mise en scène.
La réalité du terrain : 5 ans, et après ?
« Un concept tient rarement plus de cinq ans à Bruxelles. Anju, notre restaurant coréen fête sa deuxième année mais il s’est constamment adapté à de nouveaux rythmes de consommation ». Quant à San Bol (où s’est installé Jayu), il n’a pas survécu à la vague pandémique. Pour durer, un restaurant doit soit s’appuyer sur la créativité continue d’un chef investi, soit sur une gestion à l’instar d’une maison de couture : saison, collection, renouvellement. Pour Frédéric Nicolay, qui bousculé le paysage Horeca ces vingt dernières années avec le Belga, le Flamingo, le Cocq, le Walvis, etc., il s’agit davantage de raconter une ville qu’une cuisine. Son obsession ? L’ancrage local et l’émotion collective. « Il y a un fondamental à ne pas oublier : un endroit doit être beau et bon. Si l’on ne sert que du café, c’est OK à condition qu’il soit excellent », expliquait-il dans un récent interview à Bruzz. Il a aussi repensé les concepts en proposant des lieux à taille humaine, créés pour une clientèle qui veut être surprise sans être perdue. Avec comme challenge de créer des lieux générateur de lien social. Même son de cloche chez Thierry Goor – serial entrepreneur qui ouvre fin de l’année le food market Ratz –. Il mise sur les lieux emblématiques et choisit les meilleurs décors, scénarios et restaurateurs pour créer un engouement de la part de la clientèle.
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Nouveaux rituels, nouvelles attentes
Autre problématique qui touche l’Horeca, la baisse de fréquentation sur le temps de midi. Bruxelles, comme les grandes capitales nord-européennes, se vide à l’heure du lunch. Mais le soir, les habitudes évoluent : on ne passe plus des heures à table, mais on cumule les expériences. Les soirées se déploient de plus en plus sur plusieurs établissements : 3 à 4 expériences en un soir sont fréquentes. Les clients d’aujourd’hui veulent savoir à quoi s’en tenir : promesse de durée, contenu identifié, formule claire. Désormais, le plaisir passe aussi par la gestion du temps. Jayu illustre cette nouvelle logique : formule immersive, durée maîtrisée (120 minutes), menu scénarisé pour séduire rapidement un public qui gère son temps.
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L’avenir : immersion, personnalité et durabilité
Le succès des prochaines années passera par des projets à visage humain, portés par des identités fortes. Que l’on soit chef ou créateur d’ambiances, ce sont les lieux habités, sincères et sensibles qui marqueront. La durée n’est plus une fin en soi. Comme dans la mode ou l’événementiel, un concept peut être pensé pour vivre 24 mois, 5 ans ou une saison. Ce qui compte, c’est l’impact, l’écho, et l’histoire racontée. Le succès en restauration ne repose plus sur un décor ou une carte. Il vient d’un lien réel entre une place, une histoire, une équipe. Si le chef devient narrateur, le restaurant devient institution…