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L’eau gratuite dans l’Horeca : entre revendications citoyennes et réalités économiques

C’est un débat aussi récurrent que clivant. Faut-il rendre l’eau gratuite dans les restaurants bruxellois ? Tandis que la France impose depuis 2022 aux établissements de servir gratuitement de l’eau en carafe, la Belgique, elle, reste en retrait. Un choix assumé, mais souvent mal compris. À l’heure où le collectif Free Top Water recense déjà plus de 900 établissements bruxellois qui offrent de l’eau gratuitement, nous avons voulu comprendre les limites du système belge. Pour ce faire, nous avons interrogé Matthieu Léonard, président de la Fédération Horeca Bruxelles, qui nous offre un éclairage nuancé et sans langue de bois.

Une comparaison trompeuse avec la France

Sur le papier, la France semble avoir tout compris. Là-bas, l’eau filtrée est obligatoirement proposée gratuitement, à table, dans tous les établissements. Mais ce que beaucoup ignorent, c’est que le cadre fiscal y est radicalement différent. « En France, la TVA sur l’eau est de 5,5% (et non 6%), tandis qu’en Belgique, elle grimpe à 21%. C’est une charge colossale pour les établissements belges, déjà sous pression », rappelle Matthieu Léonard.

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Et la pression, elle est bien réelle. Depuis 2020, l’Horeca a encaissé crise sur crise : pandémie, explosion des coûts énergétiques, salaires indexés à +30%… « C’est du jamais vu », insiste-t-il. « Aujourd’hui, certains restaurateurs travaillent pour l’équivalent de 5 euros de l’heure. Et on voudrait leur demander de renoncer à une source de revenus aussi vitale que l’eau ? »

L’eau, un levier économique… Pas un luxe

Une bouteille d’eau revendue 6 euros, quand elle est achetée à 1 euro ? À première vue, le consommateur crie à l’arnaque. Mais la réalité est plus complexe. D’abord, le restaurateur reverse automatiquement 21% de TVA à l’État. Ensuite, il faut compter le coût du service, du stockage, de la verrerie, du personnel. Ce n’est pas juste de l’eau. « Sur ces 6 euros, il nous reste à peine 4 euros après TVA. Et sur ces 4 euros, il y a encore le prix d’achat, parfois des frais logistiques. Ce n’est pas de la marge nette, c’est de la survie », explique Matthieu Léonard.

Et l’argument santé dans tout ça ?

Le collectif Free Top Water défend une idée simple : l’eau ne devrait pas être un luxe. Elle cite aussi des arguments de santé publique, soulignant que des prix dissuasifs sur l’eau incitent certains clients à consommer de l’alcool. Une accusation que Matthieu Léonard réfute en partie : « C’est oublier que l’eau du robinet reste accessible gratuitement dans la plupart des établissements, sur simple demande. Ce qu’on questionne ici, ce n’est pas l’accès à l’eau, mais sa gratuité systématique. »

Et il ajoute : « Comparer un restaurant à un festival ou une boîte de nuit n’a pas de sens. Dans ces lieux, le client paie un ticket d’entrée qui permet de financer l’accès à l’eau gratuite. Dans l’Horeca traditionnel, il n’existe aucun minimum de consommation. La seule source de revenus, ce sont les consommations elles-mêmes. »

La piste de l’eau filtrée

Face à ce dilemme, plusieurs établissements ont opté pour une solution hybride : proposer de l’eau filtrée, servie en carafe siglée, à un prix plus bas que les bouteilles. Une option plus durable, moins coûteuse pour le client, et plus rentable à long terme pour l’établissement. « Ce modèle-là, on le soutient pleinement », affirme Matthieu Léonard. « Il permet de concilier engagement écologique, santé publique, et viabilité économique. »

Mais même là, tout n’est pas si simple. « Installer un système de filtration, c’est un investissement initial non négligeable. Et encore une fois, le service reste à assurer : nettoyage, vaisselle, etc. Rien n’est jamais vraiment gratuit pour l’exploitant. »

Une solution à trouver, mais pas à imposer

Alors, comment sortir de cette impasse ? Pour Matthieu Léonard, il ne faut pas imposer une règle uniforme, mais encourager des solutions adaptées à chaque contexte. « Il serait temps que le politique s’empare vraiment du sujet. Pourquoi ne pas réduire la TVA sur l’eau, comme en France ? Ce serait un vrai coup de pouce pour les restaurateurs, et un pas dans la bonne direction pour les consommateurs. »

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Car oui, tout le monde s’accorde à dire que l’eau devrait être accessible. Mais encore faut-il que cela ne se fasse pas au détriment d’un secteur déjà à bout de souffle. « Ce qu’on demande, ce n’est pas d’exclure la gratuité, c’est d’évaluer sa faisabilité avec justesse. »

Entre les revendications des clients et les impératifs économiques des restaurateurs, la question de l’eau gratuite cristallise les tensions d’un secteur en mutation. Si certaines pratiques vertueuses émergent, comme l’eau filtrée à bas prix, elles restent encore l’exception. Pour avancer, un soutien politique fort et une refonte fiscale ciblée semblent aujourd’hui incontournables. En attendant, mieux vaut troquer l’indignation contre un peu de compréhension : non, l’eau en bouteille à 5 euros n’est pas toujours du vol – c’est parfois le prix de la survie.