Bruxelles-Canal, ses zones de non-droit, son eau grisâtre, ses rixes en tout genre et son public paumé en bordure d’industries et de squats. Si certains anciens garderont ancrée en eux cette image d’un Bronx local, force est de constater que le quartier qui s’étend de Tour & Taxis à Sainctelette, jusqu’à Dansaert, a totalement muté. Décryptage par Grégory Sorgeloose, co-gérant du cabinet Sorgeloose & Trice, spécialisé dans la cession de commerces Horeca.
La faute au « Plan Canal », pensé par la Région bruxelloise dès 2012. Si une rutilante grue de levage d’un autre temps y trône encore, tel un fantôme du passé, d’autres grues s’affairent désormais à transformer le paysage. Et nous vous le promettons : ce quartier sera bientôt la zone la plus hype de Bruxelles, en moins de temps qu’il ne faut pour dire « kalachnikov ». Les signes avant-coureurs sont déjà là : le coffee spot Kosto qui attire une clientèle bigarrée et arty, le pont Suzan Daniel déjà recouvert de tags, le skatepark géant, la brasserie tendance Grand Kanal, sans oublier ce qui deviendra à coup sûr le plus beau musée de Bruxelles (Kanal-Pompidou). Bref, les petits plats sont mis dans les grands… et il sera bientôt temps de se mettre à taaaable!
Lire aussi > Mozzarella Power : quand la cuisine italienne réussit à Bruxelles
La renaissance au fil de l’eau
En 2012, la Région de Bruxelles-Capitale lance son Plan Canal avec trois objectifs clairs (pour une fois !) : créer 25.000 logements, réaménager 200 hectares d’espaces publics, et surtout transformer le canal en un lien entre ses deux rives plutôt qu’en frontière. Le pari est audacieux : ce territoire concentre un cinquième des Bruxellois, avec un chômage dépassant les 20 %.
De nouveaux ponts, dont le pont Suzan Daniel, relient désormais les deux côtés. Tour & Taxis paraît moins isolé, et se rapproche du quartier Nord où la mixité urbaine progresse. Premier témoin : l’arrivée du Standard Hôtel, tout droit venu de New York, avec son rooftop Lila29, vue plongeante sur la skyline bruxelloise. On s’y croirait presque à héler un yellow cab !
Mais tout projet d’envergure a besoin d’un « eye-catcher » : ce sera le futur musée Kanal-Pompidou, petit frère de l’institution parisienne, en fin de gestation dans l’ex-bâtiment Citroën. Son style art déco « bateau » en fait déjà un phare dans la nuit.
Un futur en eaux troubles ?
Soyons lucides : la gentrification ne fait pas l’unanimité. Quand d’anciens quartiers industriels deviennent branchés (Londres, Copenhague…), les loyers flambent et les habitants historiques s’évaporent avec leur charme populaire.
Mais avouons-le : un musée prestigieux valorisant le patrimoine bruxellois, l’idée (toujours reportée) d’une piscine en plein air le long des docks, ou même le rêve de revoir la Senne à ciel ouvert… tout cela redonne vie à des lieux que les Bruxellois ignoraient. Et ça change tout.
Tour & Taxis a déjà prouvé, à coup de centaines de millions d’euros, qu’un quartier pouvait renaître en écosystème autosuffisant. Mais son défaut est d’être enclavé, ceint de hauts murs. À l’inverse, le quartier Kanal est ouvert, baigné de lumière et d’espace. Une respiration rare à Bruxelles. Dommage que certains projets contestés – comme une salle de consommation de drogues prévue à côté de la Maison du Port – risquent d’assombrir cette renaissance.
Lire aussi > Les 5 nouvelles adresses bruxelloises de la rentrée
Bruxelles, une nouvelle capitale se dessine
Malgré les doutes, une évidence : Kanal se redessine, et redessine la capitale avec lui. Relié aux quartiers Nord et Sainctelette (eux-mêmes en mutation), il attire déjà de nouveaux acteurs. Des restaurants comme Barge ou des brasseries comme Brussels Beer Project à Biestebroeck montrent qu’un pari audacieux peut être gagnant. Et si un jour le Petit Château était réhabilité, ce serait la quadrature du cercle.
Un musée d’envergure internationale, une offre Horeca inspirée, une promenade piétonne le long de l’eau : tous les ingrédients sont là. Reste à rendre le quartier accessible à tous les Bruxellois, y compris ceux de la seconde couronne.
Alors, Bruxelles applique-t-elle la recette des grandes capitales ? Oui, mais à sa sauce : un peu de lenteur institutionnelle, une pincée de chaos, beaucoup de créativité. Ici, les incivilités se limitent aux joggeurs qui doublent sans prévenir. Bref, un progrès indéniable. Bruxelles, prépare-toi : tes prochains rooftops et cool spots auront une vue sur l’eau ! Affaire à suivre…