TVA et restauration : êtes-vous sûr de servir le bon taux ?
Qu’en est-il d’un brunch dégusté sur place ? D’un cornet de frites à emporter ? D’un repas livré sans service, ou d’un café vendu au comptoir ? Dans le secteur HORECA, chaque situation soulève des implications juridiques précises. Entre taux réduits, règles de ventilation, obligations de documentation et régime de franchise, l’application correcte de la TVA repose sur une compréhension rigoureuse des normes fiscales. Ce guide propose une lecture claire, structurée et à jour des règles en vigueur, illustrée de cas concrets rencontrés au quotidien. Il éclaire les subtilités souvent méconnues, attire l’attention sur les pièges à éviter. Un outil indispensable pour conjuguer rigueur fiscale, sécurité juridique et sérénité entrepreneuriale.
Par Nathalie Beernaert, Juriste Fiscaliste chez Cairn Legal
Cadre légal
En matière de taxe sur la valeur ajoutée, les taux applicables ainsi que leurs conditions de mise en œuvre sont précisés par l’arrêté royal n° 20 du 20 juillet 1970.
Trois taux sont actuellement prévus :
- Le taux normal de 21 %, applicable à toutes les opérations imposables sauf disposition contraire ;
- Le taux réduit de 12 %, applicable à certaines prestations de services, notamment les repas consommés sur place dans les établissements HORECA ;
- Et le taux réduit de 6 %, applicable à certaines livraisons de biens énumérées limitativement, tels que les aliments prêts à consommer et les boissons non alcoolisées.
La détermination du taux applicable repose sur une analyse juridique de la nature de l’opération, impliquant de distinguer les prestations de services des livraisons de biens. Cette qualification dépend principalement du lieu de consommation, des caractéristiques des produits et des modalités dans lesquelles ils sont proposés.
La distinction entre consommation sur place et vente à emporter constitue ainsi un critère structurant pour l’application des régimes d’imposition dans le secteur HORECA.
Lire aussi > Le guide pour les autorisations urbanistiques et environnementales
Repas consommés sur place
Lorsqu’un repas est servi dans un établissement disposant des aménagements nécessaires à une consommation sur place — tels que des tables, du mobilier, de la vaisselle, un espace de restauration ou encore un service assuré — l’opération est juridiquement qualifiée de prestation de services au sens du Code de la TVA.
Cette qualification repose sur le fait que le service rendu dépasse la simple fourniture de nourriture, en intégrant des éléments matériels et humains qui participent directement à l’expérience de consommation.
Conformément à l’annexe B de l’arrêté royal n° 20 du 20 juillet 1970, la fourniture de repas dans ce cadre bénéficie du taux réduit de 12 %.
Cette disposition couvre notamment les plats chauds ou froids servis dans des restaurants, brasseries, snacks, hôtels, cafés disposant d’un espace dédié à la consommation sur place.
En revanche, la fourniture de boissons, qu’elles soient alcoolisées ou non, reste soumise au taux normal de 21 %, y compris lorsqu’elles sont servies dans le cadre de la prestation globale. Cela signifie qu’un menu comprenant une entrée, un plat principal et une boisson (vin, bière, soda ou eau) doit faire l’objet d’une ventilation des taux sur le ticket ou la facture, même si le prix est annoncé de manière forfaitaire.
Exemples à retenir :
- Un client consomme une pizza, une salade et un verre de vin sur place dans une pizzeria : le restaurateur devra appliquer le taux de 12 % à la pizza et à la salade, et 21 % au vin.
- Dans un établissement servant des menus à prix fixes tels une formule entrée-plat-boisson à 25 €, il est impératif de détailler sur le ticket la part du prix correspondant au repas (12 %) et celle afférente à la boisson (21 %)
- Un brunch servi à table dans un hôtel avec buffet libre-service : 12 % pour les aliments, 21 % pour les boissons.
- Une formule petit-déjeuner avec café, viennoiseries et jus d’orange doit également faire l’objet d’une ventilation si servie sur place, en distinguant les denrées alimentaires (12 %) des boissons (21 %).
Cette distinction et l’obligation de ventilation constitue un enjeu fiscal majeur dans la pratique quotidienne des professionnels du secteur.
Vente à emporter ou livraison
Lorsque les produits alimentaires sont remis sans prestation de service accessoire et destinés à être consommés en dehors de l’établissement, l’opération est juridiquement qualifiée de livraison de biens.
Dans ce cadre,
- Les aliments prêts à consommer ainsi que les boissons non alcoolisées bénéficient du taux réduit de 6 %, à condition qu’ils figurent dans la liste limitative de l’annexe A de l’arrêté royal n° 20 du 20 juillet 1970 ;
- Les boissons alcoolisées et certains produits spécifiques demeurent soumis au taux normal de 21 %.
Exemples pratiques :
- Une bouteille de vin ou de bière : taux de à 21 %.
- Un sandwich et un soda vendus à emporter dans un snack : taux de 6 %
- Un plat préparé livré à domicile via une plateforme de type Uber Eats, sans service associé : taux de 6%.
Les produits non repris à l’annexe A (comme le caviar ou certains foies gras) restent soumis à 21 %, même à emporter ou livrés sans service. Le respect de cette liste est donc essentiel pour éviter toute erreur de taxation.
Cas spécifique : foodtrucks et snacks mobiles
Les activités de restauration exercées via un foodtruck peuvent relever, selon les circonstances, d’une livraison de biens ou d’une prestation de services soumise au taux de 12 %.
1. Consommation sur place (intérieur ou extérieur)
L’opération est considérée comme une prestation de restaurant lorsque les clients consomment sur place à l’aide d’une infrastructure fournie par l’opérateur ou un tiers : tables, comptoirs, bancs, assiettes, vaisselle, mobilier, protections solaires, chauffage, ou service de table.
Exemples :
- Des mange-debout avec tabourets dans un hall d’exposition où plusieurs foodtrucks sont présents : service de restaurant (12 %).
- Festival avec tentes, mobilier, et zones de consommation : service de restaurant.
2. Vente à emporter
Lorsque le client n’utilise pas l’infrastructure mise à disposition ou que celle-ci est inexistante, la vente est qualifiée de livraison de biens.
Exemples :
- Un client emporte un hot-dog sans utiliser les tables disponibles : livraison (6 % ou 21 % selon le produit).
- Nourriture servie dans des emballages à emporter et consommée ailleurs : livraison.
3. Événements privés
Lorsqu’un foodtruck est engagé par un client (entreprise, particulier) pour servir sur place à un moment et lieu convenus, sans lien direct avec les consommateurs finaux, l’opération constitue une prestation de restauration.
4. Événements publics
Si les visiteurs d’un événement paient directement le foodtruck :
- Présence d’une infrastructure de consommation = prestation de service (12 %) ;
- Absence d’infrastructure ou non-utilisation = livraison de biens (6 % ou 21 %).
Le mode d’emballage (barquette, plateau, sac à emporter) est un indice utile.
Repas et boissons via des distributeurs automatiques
Les ventes réalisées par l’intermédiaire de distributeurs automatiques sont, par nature, qualifiées de livraisons de biens au sens du Code de la TVA.
Le taux applicable dépend exclusivement de la nature du produit fourni :
- Boissons non alcoolisées (sodas en canette, jus conditionnés, eaux en bouteille, cafés ou thés, etc.) : taux réduit de 6 % si reprises à l’Annexe A,
- Boissons alcoolisées (bières, vins, spiritueux, etc.) : taux de 21 %.
Il en va de même pour les plats préparés et conditionnés (pâtes en barquette, croque-monsieur, potages, etc.) : 6% si le produit figure dans l’Annexe A, sinon 21%.
Le lieu d’installation du distributeur (hall d’entreprise, salle d’attente, en rue, etc.) est sans incidence sur la qualification de l’opération.
Ventilation et justification des taux
Conformément aux dispositions du Code de la TVA et de l’arrêté royal n° 1 du 29 décembre 1992 pris pour son exécution, toute opération comportant des biens ou services soumis à des taux différents doit faire l’objet d’une ventilation explicite sur les documents justificatifs (factures, tickets de caisse).
Les systèmes de caisse enregistreuse (SCE) doivent donc être paramétrer de manière à distinguer chaque catégorie de produits et à garantir la traçabilité complète.
À défaut, l’administration fiscale peut :
- requalifier l’ensemble de l’opération en appliquant le taux le plus élevé (21 %) ;
- Infliger des amendes forfaitaires ou proportionnelles ;
- Réclamer des intérêts de retard sur la TVA non perçue.
La charge de la preuve repose sur l’assujetti ce qui implique la conservation d’une documentation complète et régulièrement actualisée. Celle-ci inclut notamment les fiches techniques des produits, les menus ou cartes tarifaires, les paramètres de configuration du SCE, les rapports d’audit éventuels du système, ainsi que les documents commerciaux détaillant les taux appliqués.
Lire aussi > Le guide sur le renouvellement du bail commercial
Le régime de franchise TVA : champ d’application et limites pratiques
En vertu de l’article 56bis du Code de la TVA, les assujettis établis en Belgique peuvent opter pour le régime de franchise pour autant que leur chiffre d’affaires annuel n’excède pas 25.000 € hors TVA. Une tolérance de 10 % au-delà de ce seuil est également prévue.
Ce régime dérogatoire, à caractère facultatif, dispense de facturation de la TVA, de dépôt de déclarations périodiques et de certaines obligations formelles. En contrepartie, aucune déduction de TVA n’est possible.
Il s’applique principalement aux très petites structures (snacks mobiles, activités occasionnelles, etc.)
Cependant, ce régime est incompatible avec l’utilisation d’un système de caisse enregistreuse (SCE), même activé de manière volontaire. En effet, l’activation d’un du SCE implique la délivrance systématique de tickets comportant les mentions obligatoires en matière de TVA, ce qui contrevient au principe fondamental de non-perception de la taxe propre au régime de franchise.
le dépassement du seuil entraîne automatiquement le basculement dans le régime normal, ce qui implique que les professionnels doivent dès lors exercer une vigilance accrue, notamment en cas de pic saisonnier ou d’extension d’activité (livraison, événements, etc.), afin d’anticiper tout changement de régime et d’éviter des conséquences fiscales imprévues.
À noter : à partir du 1er juillet 2025, les conditions d’accès au régime de franchise feront l’objet d’un encadrement renforcé dans le cadre de la réforme européenne dite « franchise TVA 2025 ».
Conclusion
Maîtriser les règles de la TVA, c’est assurer la conformité fiscale, renforcer la crédibilité de son activité et préserver sa tranquillité d’esprit.
Une compréhension claire des obligations, des outils configurés avec précision et une documentation rigoureuse font toute la différence. La TVA n’est plus une contrainte, mais un levier de gestion.
Anticiper plutôt que subir, structurer plutôt qu’improviser : telle est la clé pour transformer une obligation fiscale en véritable atout de gestion.
Juriste Fiscaliste chez Cairn Legal
Cairn Legal est un cabinet d’avocats indépendant établi à Bruxelles, reconnu pour son expertise en droit des affaires, fiscalité et contentieux. Il conseille ses clients belges et internationaux avec des solutions sur mesure, alliant exigence juridique et réactivité.