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Le vrai prix de l’assiette dans l’Horeca : un luxe… pour le client, pas pour le patron

À Bruxelles, comme ailleurs en Belgique, une idée reçue persiste : « manger au restaurant coûte cher ». La réalité, chiffres à l’appui, est tout autre. Derrière une eau facturée 5 €, un américain à 25 € ou une carbonade à 22,90 €, l’assiette ne profite pas à celui qui la prépare… mais à l’État. Explications avec David Debin, Vice-président de Horeca Brussels, et témoignages de terrain avec Sarah Lenzi (restaurant Entre Nous à Saint-Gilles) et Adeline Barras (restaurant Entropy dans le centre-ville).

Par Françoise Bouzin

Une vérité plurielle

En Belgique, les prix de l’Horeca sont globalement trop bas par rapport aux coûts d’une activité exigeante en main-d’œuvre et en investissements. Mais selon l’emplacement, le standing ou la philosophie de chaque maison, l’impact se mesure différemment : certains jonglent avec un loyer exorbitant en centre-ville, d’autres sacrifient leur temps personnel pour réduire les frais de personnel, d’autres encore choisissent de rogner sur la marge pour préserver une accessibilité aux clients. Dans tous les cas, le paradoxe est le même : le client a l’impression de « payer cher », mais le restaurateur, lui, survit à peine.

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Des marges inexistantes

Dans un restaurant bruxellois « classique », sans dettes ni investissements, la répartition du prix de l’assiette est édifiante :

  • 40 % sont dédiés aux frais de personnel,
  • 25 % aux matières premières,
  • 19 % aux taxes et TVA (21% sur les boissons et 12% sur la food),
  • 15 % aux frais fixes, loyers, frais d’énergie et entretien.

Il ne reste que 1 % de marge brute. Le patron, qui enchaîne entre 60 et 80 heures par semaine, termine le mois à 1.200 € nets… s’il n’est pas propriétaire des murs. Pour illustrer cette réalité, David Debin s’est prêté à l’exercice avec une analyse complète d’un établissement classique moyen, installé dans le centre-ville, qui n’a aucune dettes ni frais d’investissement.

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La voix des restaurateurs : « On jongle avec les frais fixes »

Au-delà des chiffres, chaque restaurateur vit cette réalité de manière différente, selon son quartier, son positionnement et son modèle économique. Sarah Lenzi, propriétaire du restaurant Entre Nous (situé sur la rue de Mérode à Saint-Gilles), explique: « Il faut d’abord spécifier que mon restaurant se situe dans un quartier où les loyers sont plutôt modérés (près de la gare du Midi). Mes marges ne peuvent pas être trop élevées car les clients ne me suivraient pas. En outre, j’ai pour challenge de rendre l’alimentation durable accessible. Mais cela devient de plus en plus difficile, voire périlleux pour l’équilibre de mon business. Les prix des matières premières ont explosé : celui des œufs bio a doublé, idem pour le beurre et la crème fraîche… Le prix de l’énergie s’est stabilisé mais reste plus élevé qu’avant la crise. Sans parler de l’indexation des salaires : +13 %. » Pour tenir, Sarah a choisi de limiter ses frais de personnel en travaillant davantage elle-même : « Je jongle entre frais fixes et charges salariales. Je n’ai pas renoncé à la qualité des matières premières, mais j’ai dû augmenter mes prix de 1,50 € en moyenne. Certains mois, on arrive à tout payer, mais il n’y a pas de bénéfice. » Malgré ce contexte difficile, elle continue à aimer son métier de restauratrice et garde cette ligne de conduite éthique : « Mon métier a du sens puisque je continue à bien nourrir les gens, à soutenir les producteurs locaux et à donner du travail à mon équipe. Mais la réalité économique reste précaire. »

Un recul de la créativité ?

Adeline Barras, co-gestionnaire du restaurant Entropy (Place Saint-Géry à 1000 Bruxelles) englobe, dans sa réflexion, l’ensemble de la filière, fournisseurs compris : « En fait, ils sont dans la même galère que nous et vivent une situation précaire due aux coûts de la main d’œuvre. Quand mes pommes de terre arrivent pleines de terre, elles doivent être nettoyées et cela coûte plus cher. Si on veut des gens qui cuisinent, cela fait aussi exploser les coûts en ressources humaines. On observe que le modèle business qui fonctionne actuellement repose sur l’ouverture de 6 à 7 adresses dupliquées en 5 ans pour mutualiser les frais et et s’appuie sur la mise en place de fiches techniques et l’assemblage de produits transformés déjà préparés, coupés, surgelés, par un personnel pas spécialement qualifié. Résultat ? Une perte de créativité, de diversité et de capacité d’innover dans le paysage Horeca. Et, au passage une mise à l’écart des agriculteurs qui travaillent encore le local et en direct avec des méthodes respectueuses des sols, au profit de grands groupes de fournisseurs industrialisés. C’est notre patrimoine culinaire et nos sols que nous délaissons. »

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Pour Adeline, le problème est aussi structurel : « En Belgique, il est trop facile d’ouvrir un restaurant. On ne regarde pas ton plan financier, il y a des primes à l’ouverture, mais pas de suivi. Il faudrait une étude préalable plus sérieuse et une vraie sensibilisation à la gestion. Je préconise une solution plus globale qui consisterait à alléger les charges sociales, à simplifier l’administratif et à sensibiliser le restaurateur à ses capacités de gestionnaire … En bref, c’est un choix de société qui pose la question sur la manière dont on veut nourrir la population et celle dont on peut soutenir nos écosystèmes pour arriver à créer un cercle vertueux. »

Un désavantage belge

Si on compare avec les pays voisins, on relève quelques éléments qui expliquent les différences de prix. En France, les tables font 80 cm (contre 90-95 cm chez nous), permettant 10 à 15 % de couverts en plus dans la même salle. La TVA est moindre sur les boissons non alcoolisées (10% au lieu de 21%). En Italie, Espagne, Portugal, on facture systématiquement un coperto de 2 à 3,50 € par personne pour couvrir pain, beurre, parmesan… que nous offrons en Belgique. Partout ailleurs, la TVA et les charges sociales sont plus légères, laissant de l’air aux restaurateurs..

L’appel de l’Horeca

Quel que soit le modèle économique, il apparaît que les restaurateurs « trinquent » malgré l’impression du consommateur d’être floué. « L’addition doit en effet refléter la réalité des charges. Et payer 25 € un plat cuisiné avec soin, servi avec le sourire, préparé par des équipes qualifiées, est un prix juste. Et l’Horeca ne peut pas continuer à vendre à perte sous prétexte de préserver une illusion. Il faut rappeler qu’un restaurant est un métier, une passion, une économie. Et aujourd’hui, en Belgique, il est urgent de reconnaître enfin le vrai prix de l’assiette, » conclut David Debin.

 

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