Au premier abord, Kage ressemble à l’un de ces spots élégants où l’on sert du matcha dans des bols de céramique immaculée. Mais derrière cette maison de thé nouvelle génération se dessine la vision de Lam Boupinh, un entrepreneur bruxellois qui veut allier tradition et modernité. Pour ce passionné de mixologie et d’arômes complexes, le thé n’est pas seulement une mode, c’est un langage.
De la mixologie au thé : l’alchimie du goût
« L’aventure a commencé il y a deux ans, avant même la vague matcha », confie Lam. Avec son épouse, déjà à la tête de plusieurs établissements Kafei et Cup 28 à Ixelles, il perçoit très tôt l’évolution des goûts urbains : « La demande en thé explosait. Je venais du monde de la mixologie, et j’ai toujours vu dans le thé une complexité aromatique comparable à celle du vin ou du cocktail. » Il part en Chine et au Japon suivre des formations, rencontrer des producteurs, visiter des terroirs et apprendre des procédés ancestraux. De ces voyages naît Kage(on prononce Kagué), une marque de thés articulée autour de trois pôles :
Le thé de spécialité, issu de grands terroirs chinois et japonais, distribué en B2B et vendu en ligne.
L’expérience, via l’établissement bruxellois, où le thé se décline sous toutes ses formes, avec un petit twist pour attirer les jeunes consommateurs : matcha latte, infusions, boissons mixtes, pâtisseries infusées.
L’éducation avec des masterclass et workshops pour initier professionnels et particuliers à la culture du thé.
Une vision d’entrepreneur ancrée dans Bruxelles
Né à Ixelles, Lam Boupinh a repris dans les années 2010 la gestion du restaurant familial, Le Pacifique, avant de se tourner vers la mixologie et des collaborations avec des bars et marques de spiritueux. « Bruxelles, c’est ma ville. C’était logique d’y implanter Kage. Le centre a du potentiel : beaucoup de passage, une vraie curiosité. Et puis on y trouve une clientèle jeune, plutôt féminine, sensible à la qualité et à la durabilité. » Dans un univers Horeca souvent corseté par la paperasse et les règles d’affectation, Lam se définit comme un artisan et un formateur avant tout : « Notre force, c’est la connaissance du produit et la pédagogie. On ne se contente pas de vendre du thé, on enseigne aux gens les codes pour le comprendre. »
Matcha : la poudre verte aux mille vertus
Mais qu’est-ce que le matcha ? C’est un thé vert « ombré » dont les feuilles sont broyées en une poudre qui est ensuite fouettée dans l’eau chaude. Il est réputé pour ses bienfaits physiques et cognitifs. « Le matcha est d’origine chinoise. Les Japonais en ont codifié l’usage, mais aujourd’hui, les producteurs chinois reviennent sur le devant de la scène, » explique Lam. Face à la demande mondiale, les récoltes japonaises se raréfient, les prix grimpent et le climat met la production sous tension : « Le matcha avec lequel je travaillais a triplé de prix en un an. »
Lam Boupinh.
Chez Kage, on compte aujourd’hui six variétés de matcha et une dizaine de thés en feuilles, du thé jasmin en perle au thé vert torréfié. La maison collabore aussi avec des artisans bruxellois comme la boulangerie Fiston qui fabrique des viennoiseries et Elsa chocolat de spécialité qui a fait du chocolat à base de genmaicha.
Modernité, tradition et créativité
Tout dans Kage incarne cet équilibre : un lieu minimaliste, lumineux, pensé comme une parenthèse zen. Derrière le shop, un atelier maison : «nous fabriquons toutes nos pâtisseries sur place. Des cookies, au cheesecake et tiramisu au matcha, en passant par les préparations liquides. » Le vendredi et le samedi soir, le bar s’anime autour de créations signatures où le thé dialogue avec le gin, le rhum ou le saké. Le chef du bar propose une cuisine fusion ‘asiatique et européenne sur des assiettes à partager, une mayonnaise au matcha, des desserts classiques revisités. « On veut rendre le thé accessible, sans le dénaturer. Créer de la curiosité, casser les codes. »
Entreprendre autrement
Kage incarne une génération d’entrepreneurs bruxellois qui conjuguent création, durabilité et transmission. « Notre matière première vient de loin, mais on travaille avec des matériaux recyclables, on limite les déchets, on valorise tout ce qu’on peut. On propose des emballages cups à emporter chaud et froid en matériel recyclés/durables. » Quand on lui demande quels sont les principaux obstacles à l’entreprenariat bruxellois, il cite la paperasse, les contraintes administratives. « Ce n’est pas le business qui est difficile, c’est le back-office. Mais on garde le cap et l’envie de faire grandir Kage. Le thé ne remplacera pas le café, mais il peut l’accompagner. Cette tendance ne fait que commencer et j’espère qu’elle persistera au-delà du phénomène mode. »