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Crise de l’énergie : questions, solutions et inquiétudes

On le sait, la crise de l’énergie frappe notre pays de plein fouet. Les entreprises Horeca bruxelloises tirent la sonnette d’alarme depuis plusieurs semaines. Les fournisseurs sont taxés de voleurs ou d’arnaqueurs. Les instances gouvernementales belges et européennes tentent de trouver des solutions, mais le temps presse et la colère monte. BeHoreca fait le point sur cette crise, dont on ne voit pas le dénouement…

Par Vanille Dujardin

Du côté des fournisseurs d’énergie

Certains entrepreneurs reçoivent des factures dont les montants sont trois à quatre fois plus élevés qu’il y a quelques mois. Plusieurs d’entre eux se posent la même question : quel est le rôle des fournisseurs d’énergie dans cette crise énergétique ? Stéphane Bocqué, porte-parole de la Fédération Belge des entreprises Électriques et Gazières (FEBEG), tente de répondre.

Stéphane Bocqué
Stéphane Bocqué

Quels sont les postes qui apparaissent sur une facture d’énergie ? 

La facture d’énergie comporte plusieurs postes : l’énergie pure, les frais de réseaux de transport et de distribution, et enfin les taxes et prélèvements destinés aux autorités publiques. C’est uniquement la partie énergie pure qui est dépendante de votre fournisseur. Le transport et la distribution sont gérés par des sociétés et par les gestionnaires de réseaux. Quant aux taxes et prélèvements, elles dépendent des autorités régionales ou fédérales. C’est ce qui explique que les prix varient suivant que l’on soit fourni à Bruxelles, en Flandres ou en Wallonie. Les fournisseurs appliquent la cascade tarifaire, ce qui veut dire qu’ils redistribuent ce que les clients leur versent vers les autres parties composantes de la facture. C’est le cadre légal défini, et celui-ci est fortement contrôlé. 

Pourquoi cette facture explose-t-elle actuellement ? 

Il faut le dire et le répéter : nous sommes dans une situation de guerre. Ce ne sont pas des conditions normales. Nous payons le prix d’une guerre économique, d’une diminution considérable des volumes de gaz qui partaient de Russie vers l’Union Européenne et constituaient 40% des approvisionnements (UE) avant le début du conflit russo-ukrainien. Aujourd’hui ce gaz doit être substitué par ce qu’on appelle du GNL, du gaz liquéfié, qui est transporté par bateau. Mais ce n’est pas gratuit. Il y a une compétition mondiale pour obtenir ce gaz liquéfié, ce qui rend son prix structurellement cher et volatile. Par ailleurs, il faut impérativement diminuer la consommation globale de gaz à l’échelle de l’Union européenne pour compenser partiellement cette diminution brutale de l’offre.

Que font les fournisseurs pour aider leurs clients ?

Les fournisseurs deviennent des chefs d’orchestre de l’énergie. Ils offrent désormais une panoplie de produits et de services qui vont bien au-delà de l’énergie elle-même. Par exemple, de nombreux produits et services visant à diminuer structurellement la consommation d’énergie et d’autres afin d’assurer l’autoproduction d’une partie de celle-ci. Les fournisseurs investissent aussi davantage dans la production d’électricité renouvelable, afin de diminuer les quantités d’énergies fossiles importées. On va aussi davantage électrifier les usages énergétiques, parce que l’électricité est le vecteur énergétique le plus efficace sur le plan énergétique (haut rendement). Enfin les fournisseurs se montrent souples vis-à-vis de leurs clients qui rencontrent des difficultés de paiement,  en leur proposant des plans d’étalement.

Energiecrisis, vragen, oplossingen en bezorgdhedenQuels conseils donnez-vous pour garder la tête hors de l’eau ?

Cette crise n’est pas terminée. Une des seules manières de peser sur la situation est de persister dans les efforts de sobriété énergétique. Premier bénéfice de cette sobriété  : l’énergie que vous ne consommez pas, vous ne la payez pas. Le deuxième effet est ce qu’on appelle la destruction de la demande. Quand un produit est onéreux les clients tentent d’en consommer moins ou de le substituer. Cela engendre une baisse de la demande. A terme, cela exercera une pression à la baisse sur les prix. On peut diminuer sa consommation à court terme en faisant une série de petites choses, sans grands investissements ; mettre des leds partout, ne pas éclairer le bâtiment quand ce n’est pas nécessaire, ne pas laisser des appareils en veille, utiliser les systèmes de régulation thermique de manière adéquate… Sur le long terme, ce sont des investissements en efficacité énergétique qu’il faut consentir. Avec les prix actuels élevés de l’énergie, ces investissements seront d’autant plus rapidement amortis.

On peut diminuer sa consommation à court terme en faisant une série de petites choses, sans grands investissements.

Et du côté de l’Horeca…

C’était vrai durant la crise sanitaire et ça l’est encore aujourd’hui : chaque gérant d’établissement Horeca gère les crises d’une manière différente. Pourtant certains adoptent des mesures similaires : remplacer les ampoules par des leds, améliorer l’isolation… L’équipe de BeHoreca a demandé à sept établissements bruxellois (cafés, bars, restaurants, hôtels) leur manière de gérer la crise énergétique.  

Café Béguin
Café Béguin

Le Café Béguin

Abebe Haile, gérant du Café Béguin et du Toukoul à Bruxelles, est passionné depuis toujours par la gestion de ses commerces. Intéressé à développer des concepts autour de l’Afro-attitude, il souhaite faire un travail commercial et sociétal, qui donnera une valeur ajoutée à la Ville. « Malheureusement Bruxelles à un gros défaut : le manque de communication et d’anticipation », explique-t-il. « C’est ce qui tue la qualité des établissements du centre-ville. »

Selon lui, les politiciens ne seraient pas capables de gérer des situations imprévisibles. « On dirait que les gens qui sont au pouvoir ont très peu de moyens d’action. Nous sommes face à quelque chose d’imprévu et nous subissons, sans aucun moyen de résorber l’impact. Ce ne sont pas « les mini-mesurettes » prises qui sauveront les commerces bruxellois.” 

Au Café Béguin, certaines mesures ont dû être mises en place pour traverser cette crise tant bien que mal. Abebe explique avoir investi dans des leds et n’allumer les lumières que pendant les heures d’ouverture. « Nous fermons un jour supplémentaire et nous ouvrons uniquement le soir. Nous éteignons les frigos et la machine à café le soir, et j’ai dû faire une réduction structurelle de personnel. » Le gérant espère voir ses coûts diminuer, car sa facture a quadruplé. «  Ajoutez à cela l’indexation des salaires en janvier et je ne suis pas certain de pouvoir rester ouvert », conclut-il. 

DoubleTree by Hilton Brussels City
DoubleTree by Hilton Brussels City

DoubleTree by Hilton Brussels City

Après avoir mis à profit la période de fermeture durant la crise sanitaire pour faire des rénovations, le Hilton Rogier doit faire face à cette nouvelle crise. Pourtant, le directeur estime qu’il gère plus ou moins bien cette situation. « Nous avons la chance d’avoir un contrat fixe de longue durée. Ceux qui n’ont pas cette chance vont subir l’augmentation des prix de plein fouet, car plus aucun fournisseur ne signe de contrats de ce type. »

Il voit cette crise comme une opportunité d’investir et de développer certains outils  pour diminuer la consommation énergétique. « C’est l’occasion d’investir dans des pompes à chaleur, dans un toit avec des facilités de récupération énergétiques, de changer les chaufferies… », conseille-t-il. « Heureusement, le marché est en hausse et les clients sont revenus. Cela va aussi permettre à certains hôtels de récupérer de la marge par rapport au coût de l’énergie. » 

Restaurant Le Ventre Saint-Gris
Restaurant Le Ventre Saint-Gris

Le restaurant Le Ventre Saint-Gris

Ce restaurant, situé à Uccle, existe depuis près de 50 ans et a été repris, il y a 2 ans, par Rémi Colombe et Martin Tfelt pour en faire un ‘gastro-gourmand’. Rémi explique vivre cette crise énergétique moins bien que celle du Covid. « Pendant la crise sanitaire, on savait que cela allait s’arrêter un jour. Tandis qu’aujourd’hui, on ignore quand les prix vont diminuer et on sait que les clients vont devoir faire des économies. »

Ayant racheté le bâtiment, les deux associés avaient déjà un crédit à rembourser, mais l’explosion des prix de l’énergie leur donnent l’impression d’en avoir deux pour le prix d’un. « C’est très handicapant, car il y a énormément d’argent qui part dans ce second poste. Et je suis assez pessimiste quant au futur, explique Rémi. » 

Pour faire face, ils ont installé des panneaux solaires sur leur toit. « Ce qui va diminuer les coûts de l’électricité de 30 à 40%, mais il faudra encore gérer le prix du gaz », explique-t-il. Les gérants mettent également plusieurs autres mesures en place, comme l’installation de leds et le contrôle des joints situés près des fenêtres pour limiter les courants d’air. « Nous avons l’impression que les politiciens ne comprennent pas notre situation et s’acharnent contre nous, entrepreneurs », explique Rémi. « Mais malgré cela je vais continuer à me battre jusqu’au bout. »

Café-bar Belga
Café-bar Belga

Le café-bar Belga

Les institutions bruxelloises tel que le Belga Café traversent également tant bien que mal la crise énergétique.  « Nous avons quand même le sentiment d’une grosse arnaque », explique Paul de Béthune. « Ça sent le hold up financier de la part de ceux qui concentrent le pouvoir autour de l’énergie. » D’après lui, cette crise met également en lumière le « soutien public incohérent par rapport aux autres pays européens ». 

Quant aux investissements, il reste mitigé. « Mettre partout du led, je valide, mais il faut avouer que l’effet n’est pas génial au niveau esthétique. Difficile de se trouver joli sous ces lumières qui vous donnent un teint verdâtre. » Le gérant dit tout de même avoir trouvé des lumières économiques « convenables », dans lesquelles il a investi. 

Selon lui, ce sont les autorités publiques qui font n’importe quoi. « On autorise des Etats à libéraliser les denrées de base de leurs citoyens, c’est inconséquent ». S’il n’est pas trop inquiet pour son établissement, il se plaint du manque de communication. « On ne peut pas payer des choses impayables sans justification cohérente. »

UNIK winebar
UNIK winebar

UNIK bar à vin by Ricotta & Parmesan

Renaud Waeterloos, créateur du restaurant italien UNIK, avait anticipé cette crise lors de l’ouverture en juin. « J’avais déjà investi dans des lampes leds  », explique-t-il. « L’avantage d’UNIK, c’est qu’on ne cuit rien sur place. Ce qui doit être servi chaud passe dans des fours ultra rapides qui consomment très peu d’énergie. » 

L’entrepreneur essaye également de conscientiser les membres de son personnel et veille à réduire au maximum ses dépenses énergétiques. « Nous allons prendre en photo les compteurs tous les 1ers et les 30 du mois », explique Renaud. « Ainsi nous pourrons demander une régularisation cohérente avec notre consommation. » 

L’hôtel Mercure 

Pour Christophe, directeur de l’hôtel Mercure situé à la Gare du Midi, c’est l’incompréhension. « Après la crise Covid, nous voulions remplir l’hôtel à tout prix », explique-t-il. « Mais aujourd’hui, cela engendre de payer une grosse facture d’énergie. Alors que faut-il faire ? » 

Au Mercure, les éclairages habituels ont également été remplacés par des leds. « Nous avons aussi mis en place un système avec capteurs de mouvements pour que les lumières ne s’allument que lorsqu’il y a une présence. C’est surtout une question de bon sens ; vérifier qu’aucune télévision ne reste allumée lorsque les clients partent, fermer les portes… »

Il explique ne plus pouvoir planifier le futur et gérer au jour le jour. Il reste tout de même positif : « Ce n’est pas agréable, mais les crises sont des moments clé pour se réinventer et trouver des solutions ». 

Bar-restaurant Wine Club
Bar-restaurant Wine Club

Le bar-restaurant Wine Club

Ici, les factures ont triplé. « Tout était déjà équipé de leds, mais dorénavant on coupe les machines à cafés et les frigos qui ne contiennent pas de denrées alimentaires », explique Nicolas Meeùs. « Nous faisons de petites économies par ci et par là. » 

Le gérant craint surtout la suite des événements. « Nos clients sont également impactés et ils font également des économies et cela se ressent déjà. Malheureusement, on sait que les prix ne reviendront jamais au niveau d’avant. Mais nous essayons de faire le gros dos pour être là dans un an. »

 

Et l’Europe ?

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Le 24 novembre dernier, les pays de l’UE ne sont pas parvenus à un accord sur les prix du gaz. On le sait depuis le début de la guerre en Ukraine, le plafonnement du prix du gaz est au cœur des discussions entre chefs d’État et gouvernements.

Un échec pour la négociation qui avait été mise en place et avait généré trois propositions législatives d’urgence. La première vise à accélérer les accords des permis pour les renouvelables. La seconde est plus ambitieuse et répond à la crise énergétique actuelle. Elle souhaite voir se mettre en place un nouvel indice des prix du gaz, plus en phase avec la réalité du marché, et enfin la troisième, implique une volonté commune d’acheter ensemble du gaz pour fournir ceux qui en manqueraient. C’est sur cette troisième mesure attendue par l’ensemble des consommateurs européens qui a tout fait capoter. Et comme les Vingt-Sept ne sont pas parvenus à un accord global, les 3 propositions ont été gelées par la même occasion. Dès lors face à l’envol des prix de l’énergie depuis le début de l’année 2022, on note que d’autres outils sont dans le viseur des gouvernements comme la baisse de consommation de gaz de 15% à laquelle les Vingt-Sept se sont engagés mais aussi des négociations avec la Norvège et les Etats-Unis pour diminuer les factures de gaz qu’ils leur achètent.

S’ils sont 15 pays dont la Belgique à réclamer des dispositifs pour alléger rapidement les effets de cette crise sur les usines et les commerces (qui ferment), il reste à convaincre les autres pays réticents au plafonnement du prix du gaz. Prochaine échéance le 13 décembre où le conseil des ministres devra remettre les propositions sur la table et négocier pour trouver un compromis.